mardi 4 janvier 2022

Le dézingage chez Adam McKay



Aussi mordant et grinçant que Docteur Folamour (Dr. Strangelove or: How I Learned to Stop Worrying and Love the Bomb, Stanley Kubrick,1964), Don't Look up (Adam McKay, 2021), se livre, avec une délectation contagieuse, totalement débridée mais terriblement anxiogène, à une pulvérisation stratosphérique des tares des sociétés contemporaines en général, et américaine en particulier. Tout est « éparpillé façon puzzle » : les dérives de la société médiatique essentiellement préoccupée par l'infodivertissement, les réseaux sociaux devenus un cloaque à ciel ouvert, une classe politique méprisante et égoïste, des opinions publiques lobotomisées par les fakes news, rien n'échappe au scalpel du réalisateur. Après avoir découvert qu'une comète de dix kms de long était sur le point d'entrer en collision avec la Terre pour provoquer son intégrale destruction, une équipe d'astronomes composée de Randall Mindy (Leonardo DiCaprio) et d'une doctorante Kate Dibiasky (Jennifer Lawrence) tente de convaincre la présidente des États-Unis Jani Orlean (Meryl Streep sur le photogramme) de l'imminence de cette catastrophe. Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé n'est pas fortuite, mais purement volontaire de la part d'Adam McKay qui concentre son tir sur la présidente, une présidente irresponsable, refusant de croire les faits scientifiques pour faire montre autant de médiocrité et de cynisme que d'arriération mentale et d'ignorance. Au cours d'un meeting électoral (voir photogramme), sur une tribune cernée par des milliers de partisans, elle nie la fin du monde imminente, refusant de désespérer ses électeurs à la veille des élections de mi-mandat, cruciales pour son parti. Avec sa chevelure blonde en papillotes permanentées, sa casquette vissée sur le crâne avec son logo fétiche Don't Look up, et le doigt de sa main droite pointé vers une foule mystique et béate, cette démagogue a le même rapport à la réalité qu'un individu de type Néandertal adepte du platisme face à la rotondité de la Terre. « Ne regardez pas en l'air. Savez-vous pourquoi ils veulent que vous regardiez le ciel ? Ils veulent que vous ayez peur. Ils veulent que vous regardiez le ciel, parce qu'ils vous regardent de haut », dit-elle d'un ton vindicatif, aussitôt saluée par les vociférations de la foule. Comme tout négationniste qui se respecte, ne pas regarder la vérité donne à ces naufragés de la pensée une prestance, comment dirais-je, une preuve de leur existence et, croient-ils, de leur intelligence. Dans un raisonnement défiant toute normalité, la comète est devenue un enjeu de la vie politique. Vendue à des intérêts financiers voyant dans cette comète un moyen de récupérer des minerais rares, elle assume ne plus faire semblant de se préoccuper du cataclysme. La comète est sur le point de fracasser la Terre, mais l'essentiel est sauf: la bannière étoilée omniprésente et les objectifs politiciens à court terme. Avec la même rage jubilatoire que Tim Burton dans Mars Attaque ! (Mars Attacks ! 1996), Adam McKay vitriolise une partie de la classe dirigeante américaine (mais aussi mondiale) avec cet « humour qui reste la politesse du désespoir ». Il rit jaune, mais à gorge déployée, et observe le monde dans lequel il vit et doit penser assurément, s'il est croyant, que la destruction de l'espèce humaine par cette comète – ou par une autre catastrophe sanitaire et/ou environnementale au hasard – ne serait que la volonté de Dieu ne supportant plus de voir autant de bêtise concentrée en l'Homme.




1 commentaire:

  1. Quel film ! Et une super critique, Hubert, qui révèle tout son aspect "débridé" et "anxiogène". J'ai plus ressenti les moments d'horreur et de solitude des personnages que le comique finalement(pas assez déjanté à mon goût). Ta critique est plus jouissive et rythmée que le film lui même, haha !
    " Il rit jaune mais à gorge déployée ", wow, c'est rare un zeugma qui est pas juste là pour faire beau, il résume tout le sens du film.

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