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Dans
La Horde sauvage (The Wild Bunch, Sam Peckinpah, 1969), les apparences
sont toujours trompeuses. En 1913, un groupe de six hors-la-loi, mené par Pike
Bishop (William Holden), entre dans la petite ville de San Rafael au Texas
(photogramme 1). Ils s'apprêtent à cambrioler les bureaux des Chemins de fer et
ont revêtu, pour mieux passer inaperçus, l'uniforme de l'armée américaine. Au coin
d'une rue, Pike se heurte par inadvertance à une femme d'un âge certain en
faisant tomber les paquets qu'elle portait. Confus et d'une courtoisie exquise,
il ramasse lesdits colis, les remet à son voisin de droite Dutch (Ernest
Borgnine), tout sourire, avant d'offrir son bras à cette aînée pour traverser
la rue. Des gentlemen en somme, pétris de savoir-vivre et ravis de secourir les
dames en difficulté ou dans l'embarras. Au même moment, en face, sur le toit
d'un immeuble surplombant les faux militaires, un autre groupe d'hommes mené
par Deke Thornton (Robert Ryan) et le dirigeant de la Compagnie des Chemins de
fer Pat Harrigan (Albert Dekker, le deuxième à partir de la gauche, photogramme 2), surveillent
les faits et gestes de Pike et de sa bande. Armés jusqu'aux
dents, les mines patibulaires, les vêtements déguenillés et assurément malodorants,
ils ont manifestement des intentions malveillantes, et la plupart présentent
tous les symptômes de la névrose qui siéent à des chasseurs de primes sans foi
ni loi, mus par la seule recherche du profit. Des truands en somme, impatients
de faire parler la poudre et enchantés à l'idée de faire un carnage, y compris dans
la rue principale très fréquentée de San Rafael. Le premier groupe en contrebas
ne sait pas encore qu'il est tombé dans un piège. À l'opposé du western
classique hollywoodien, Sam Peckinpah dynamite les cartes de l'Ouest en donnant
à la notion du bien et du mal une dimension toute relative. Pike Bishop et ses comparses
ont pris l'apparence de ceux qui ont la charge de défendre l'ordre établi,
alors qu'ils sont sur le point de commettre un forfait. « Le camp du Droit
et de la vertu se réduit ici à un simple ensemble de perceptions visuelles
élémentaires: parce qu'ils sont habillés en soldats, ces hommes deviennent un
instant tels pour la société[1].
De même, Harrigan, un « baron du fer » comme on peut parler d'un « baron du
bétail », censé défendre la ville, la légalité et le capitalisme naissant, est
entouré d'une bande de forbans méprisables à l'exception de Deke, par ailleurs
ancien frère d'armes de Pike. La confusion est donc totale, les deux groupes
utilisant la même violence pour parvenir à leurs fins. Chaque groupe peut
contempler en l'autre son propre reflet. Le réalisateur filme un monde de
faux-semblants, de dissimulation et de masques qui exhale, dans une vision nihiliste
de l'humanité, une odeur de mort et de violence. L'homme est fondamentalement
mauvais quel que soit la cause qu'il sert, seul l'honneur et un attachement
viscéral à la notion de groupe, permettront de départager les deux « hordes
sauvages » au profit de Pike et de ses hommes. Il y a chez Peckinpah, sinon une
volonté de tuer la mythologie hollywoodienne, une rage à dépeindre l'envers du
décor, à donner à son univers la couleur de la duplicité et du sang, ce même
sang que les États-Unis, berceau de la démocratie, répandent au Vietnam au même
moment. Il n'y a plus de romantisme, plus d'héroïsme, mais des désillusions et
un avenir en pointillés pour Pike et sa bande qui savent que le crépuscule et
la mort sont au bout de la piste.
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