2
Tout au long de sa carrière, Lee Marvin aura
souvent eu l'occasion de jouer des crapules
malfaisantes, mais dans Règlements de comptes (The Big Heat,
1953), Fritz Lang lui donnera une occasion particulière de briller dans ce
registre. Homme de main brutal et bilieux du chef de la pègre locale, Mike
Lagana (Alexander Scourby), Vince Stone (Lee Marvin donc) aime exprimer son
ascendant et son autorité sur les autres, et notablement sur les femmes. Soupçonnant
sa maîtresse Debby (Gloria Grahame) de fréquenter un policier, il l'interroge
sur un ton qui passe, en quelques secondes, de la dispute entre amants à la
violence la plus éruptive. Avec sa mèche rebelle et son visage déformé par la
haine et la jalousie, mettant en avant une dentition agressive, il ne tarde pas
à insulter Debby tout en s'interrogeant sur la meilleure façon de lui faire
payer, physiquement, son indocilité (photogramme 1). Regardant autour de lui,
ses yeux se portent sur une cafetière bouillante reposant sur une plaque
électrique. Avec un sadisme consommé, Vince s'en empare pour projeter – le mouvement reste hors-champ, mais la bande-son en restitue toute
l'horreur - son contenu sur le visage de Debby qui sort de la pièce en hurlant
de douleur. Son forfait accompli, Vince la suit, tenant encore dans sa main la
cafetière fumante (photogramme 2). Nos yeux restent figés sur cet objet du
quotidien transformé en arme redoutable, tant il révèle les pulsions perverses
qui habitent Vince. La violence qui traverse tout le film atteint ici son
paroxysme, dans la continuité de la fameuse séquence - déjà jugée violente à
l'époque – dans laquelle Tom Powers (James Cagney) écrase gratuitement une moitié
de pamplemousse sur le visage de Kitty (Mae Clarke dans L'Ennemi public /The
Public Enemy, William A. Wellman, 1931). Vince Stone est la version
boursouflée de la face noire de l'humanité, à l'instar d'un Johnny Prince (Dan
Duryea), escroc cynique et manipulateur[1],
mais pas si éloigné que cela d'un Joe Wilson (Spencer Tracy), un homme
cherchant à se venger de ceux qui ont failli le lyncher[2],
ou même d'un Dave Bannion (Glenn Ford),
l'officier de police aux trousses de Vince et de son patron, prêt à utiliser
les mêmes moyens que la pègre pour venger la mort de sa femme. En ce sens, le
déchaînement de l'agressivité de Vince n'est que la matérialisation de la
vision pessimiste que Lang porte sur le monde et qui finit par contaminer toute
la société. Préfigurant le rôle d'un autre névropathe, Liberty Valance, dans L'Homme
qui tua Liberty Valance (The Man Who Shot Liberty Valance, John
Ford, 1962), Lee Marvin donne à chacune de ses apparitions une dimension
inquiétante et venimeuse, comme un signe de dégénérescence, laissant dans son
sillage douleur et destruction. Définitivement défigurée, Debby saura, en
nouvelle Némésis, prendre sa revanche contre son persécuteur et bourreau et gagner,
enfin, cette humanité dont tous les personnages du film sont exclus.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire