lundi 17 janvier 2022

De l'usage de la cafetière chez Fritz Lang


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Tout au long de sa carrière, Lee Marvin aura souvent eu l'occasion de jouer des crapules   malfaisantes, mais dans Règlements de comptes (The Big Heat, 1953), Fritz Lang lui donnera une occasion particulière de briller dans ce registre. Homme de main brutal et bilieux du chef de la pègre locale, Mike Lagana (Alexander Scourby), Vince Stone (Lee Marvin donc) aime exprimer son ascendant et son autorité sur les autres, et notablement sur les femmes. Soupçonnant sa maîtresse Debby (Gloria Grahame) de fréquenter un policier, il l'interroge sur un ton qui passe, en quelques secondes, de la dispute entre amants à la violence la plus éruptive. Avec sa mèche rebelle et son visage déformé par la haine et la jalousie, mettant en avant une dentition agressive, il ne tarde pas à insulter Debby tout en s'interrogeant sur la meilleure façon de lui faire payer, physiquement, son indocilité (photogramme 1). Regardant autour de lui, ses yeux se portent sur une cafetière bouillante reposant sur une plaque électrique. Avec un sadisme consommé, Vince s'en empare pour projeter – le mouvement reste hors-champ, mais la bande-son en restitue toute l'horreur - son contenu sur le visage de Debby qui sort de la pièce en hurlant de douleur. Son forfait accompli, Vince la suit, tenant encore dans sa main la cafetière fumante (photogramme 2). Nos yeux restent figés sur cet objet du quotidien transformé en arme redoutable, tant il révèle les pulsions perverses qui habitent Vince. La violence qui traverse tout le film atteint ici son paroxysme, dans la continuité de la fameuse séquence - déjà jugée violente à l'époque – dans laquelle Tom Powers (James Cagney) écrase gratuitement une moitié de pamplemousse sur le visage de Kitty (Mae Clarke dans L'Ennemi public /The Public Enemy, William A. Wellman, 1931). Vince Stone est la version boursouflée de la face noire de l'humanité, à l'instar d'un Johnny Prince (Dan Duryea), escroc cynique et manipulateur[1], mais pas si éloigné que cela d'un Joe Wilson (Spencer Tracy), un homme cherchant à se venger de ceux qui ont failli le lyncher[2],  ou même d'un Dave Bannion (Glenn Ford), l'officier de police aux trousses de Vince et de son patron, prêt à utiliser les mêmes moyens que la pègre pour venger la mort de sa femme. En ce sens, le déchaînement de l'agressivité de Vince n'est que la matérialisation de la vision pessimiste que Lang porte sur le monde et qui finit par contaminer toute la société. Préfigurant le rôle d'un autre névropathe, Liberty Valance, dans L'Homme qui tua Liberty Valance (The Man Who Shot Liberty Valance, John Ford, 1962), Lee Marvin donne à chacune de ses apparitions une dimension inquiétante et venimeuse, comme un signe de dégénérescence, laissant dans son sillage douleur et destruction. Définitivement défigurée, Debby saura, en nouvelle Némésis, prendre sa revanche contre son persécuteur et bourreau et gagner, enfin, cette humanité dont tous les personnages du film sont exclus.



[1] La Rue rouge (Scarlet Street, Fritz Lang, 1945)

[2] Furie (Fury, Fritz Lang, 1936)




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