Dans le dernier plan de L'Étrangleur de Boston
(The Boston Strangler, Richard Fleischer, 1968), la caméra opère un lent
travelling arrière pour abandonner Albert DeSalvo, (Tony Curtis) le tueur en
série arrêté par la police depuis peu, figé dans l'une des encoignures de la
pièce, littéralement confondu avec les murs blancs de ce qui s'apparente
davantage à un hôpital qu'à la salle d'interrogatoire d'un poste de police. Ce
mouvement de caméra instaure une tension, une inquiétude qui participent du
malaise traversant tout le film. Nous ne voyons plus ce détenu de l'extérieur, du
point de vue que Joël Magny appelle « le point de vue de l'observateur invisible
» que l'on peut référer à celui du cinéaste[1],
mais nous sommes désormais dans la psyché, dans le cerveau du meurtrier. La
caméra est, en effet, « dans le personnage » pour mieux saisir ses
hallucinations visuelles, traduites à l'écran de manière troublante par des
images mentales perturbées, des distorsions de l'espace que seul le cerveau
d'un schizophrène peut générer. Cette pièce, immense, immaculée, lisse, sans
porte, donc sans échappatoire, se dilate au fur et à mesure que le travelling
arrière opère son déplacement. Les objets, table et chaises ont disparu, les
murs et le sol, aussi blancs qu'un linceul, forment un espace paradoxalement
étouffant, en dépit de l'immensité qui se crée autour du personnage. Les traits
de son visage se dissolvent dans cette topographie sans aspérités, comme pour
mieux souligner que le tueur est autant dépossédé de lui-même que de son libre
arbitre. Claustré dans sa solitude,
incapable d'échapper à ses pulsions criminelles, Albert DeSalvo apparaît aliéné
par ses tourments intérieurs, submergé par des pulsions qu'il ne maîtrise pas
et dont il n'a clairement pas conscience. Il aimerait fuir, disparaître, être
absorbé au même titre que l'effacement des couleurs comme autant de signes d'altération
du réel et d'émoussement des sens, comme si l'imaginaire avait pris le pas sur
le réel. Son attitude apathique contribue à le faire glisser dans une autre
dimension, dans les abysses de l'âme humaine que sa névrose rend quasi-palpables.
Albert DeSalvo est l'alter ego de M (M le maudit/M- Eine Stadt sucht
einen Mörder, Fritz Lang, 1931), de Norman Bates (Psychose/Psycho,
Alfred Hitchcock, 1960), d'Hannibal Lecter (Le Silence des agneaux/The
Silence of the Lambs, Jonathan Demme, 1990) ou encore de John Doe (Seven,
David Fincher, 1995), mais Richard Fleischer est le seul réalisateur à avoir
matérialisé, graphiquement et de manière clinique, la pathologie et
l'inconscient d'un criminel. Quoi de plus étonnant de la part d'un réalisateur
qui envisageait dans un premier temps la carrière de psychiatre avant de
rejoindre, en 1942, l'univers du cinéma. Manifestement interpellé par ce type
de personnage, il mettra en scène un autre tueur en série dans L'Étrangleur
de la place Rillington (10 Rillington Place, 1971). Une plongée en
apnée dans ce que l'homme peut révéler de ses perversions.
[1] Le point de vue: de la vision du cinéaste au regard du spectateur de Joël Magny, Cahiers du cinéma/Les petits cahiers/Scérén-Cndp, 2001
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