Perçant un voile de nuages s'assombrissant vers
l'ouest, au milieu d'un ciel orangé, le soleil palpite encore de ses derniers
feux, ambrant les collines et les ravines desséchées de cet espace perdu au
bout du monde, au bout de la piste. À ce moment du crépuscule qui dissout
progressivement le relief et les couleurs, il témoigne du dialogue entre le
ciel et la terre, à la limite de l'abstraction, pour bientôt disparaître
derrière l'horizontalité du paysage. La solitude de ces immensités vides et
l'âpreté de ces versants dénudés, ondulant sur cette mer minérale, opèrent
toujours, dans la scénographie westernienne, une tension entre la nature et
l'homme qui la traverse. Tout n'y est que grandeur et désolation. Le désert ne
présente que peu de points d'appui pour l'œil qui le parcourt, aussi le cadrage
et le format cinémascope donnent-t-ils toute sa place à Hooker (Gary Cooper)
qui, contemplatif et fasciné par cette beauté sauvage dépouillée à l'extrême,
dit d'un ton désabusé: « Le Jardin du diable ….. si le monde était fait
d'or, les hommes mourraient pour une poignée de poussière ». La fin du jour
confronte Hooker à sa propre existence, à ses motivations, à la mort de plusieurs
de ses compagnons, de ceux qui ont accepté, comme lui, d'aider Leah (Susan
Hayward), une femme désireuse de porter secours à son mari bloqué au fond d'une
mine d'or, dans une région inhospitalière, source de dangers, surnommée par les
Apaches, qui en sont par ailleurs les gardiens, le « Jardin du diable ». Alors
que la lumière perd de son intensité et dans cet univers écrasant, apparemment
sans limites, Hooker regarde le soleil poursuivre sa course au-delà de la ligne
d'horizon. Il n'est plus dans l'action mais dans une sorte de méditation désillusionnée
sur la condition humaine que seul Gary Cooper, vieilli – il meurt six ans plus
tard - pouvait incarner. À la manière de John Huston dans Le Trésor de la
Sierra Madre (The Treasure of the Sierra Madre, 1948), Henry
Hathaway nous dit que l'or n'est qu'une chimère et que l'appât du gain ne résout
rien. La fin du Jardin du diable (Garden of Evil, 1954) laisse Hooker
seul aux prises avec cette tentative d'affirmation de l'homme face aux passions
corruptrices. Ce sens du tragique, mais aussi de la morale et de l'honneur, lui
permet de se transcender, de maîtriser son destin et de matérialiser son
humanisme au-delà de son tropisme qui le porte vers l'or et à la voracité qui
s'y rattache inévitablement. L'essentiel pour lui n'est pas tant d'avoir été
contraint de laisser Fiske (Richard Widmark), seul face aux Apaches pour
protéger sa fuite et celle de Leah, que d'être, dans une volonté altruiste, revenu
sur ses pas pour se mettre en péril et aider - en vain – son compagnon et ainsi
mieux affirmer que sa vie a un sens. La
force dramatique du plan réside dans cette posture hiératique, cette attitude
distanciée par rapport à la violence dont ces montagnes se sont fait l'écho, rendant les trajectoires humaines fragiles, mais propices à l'introspection. La nature reste la plus forte, suffisamment
répulsive pour pousser Hooker à retourner vers la civilisation et à retrouver
Leah, mise un peu plus tôt à l'abri, aux limites de ce désert que les Apaches
ne menacent plus.
lundi 10 janvier 2022
La méditation chez Henry Hathaway
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