lundi 10 janvier 2022

La méditation chez Henry Hathaway



Perçant un voile de nuages s'assombrissant vers l'ouest, au milieu d'un ciel orangé, le soleil palpite encore de ses derniers feux, ambrant les collines et les ravines desséchées de cet espace perdu au bout du monde, au bout de la piste. À ce moment du crépuscule qui dissout progressivement le relief et les couleurs, il témoigne du dialogue entre le ciel et la terre, à la limite de l'abstraction, pour bientôt disparaître derrière l'horizontalité du paysage. La solitude de ces immensités vides et l'âpreté de ces versants dénudés, ondulant sur cette mer minérale, opèrent toujours, dans la scénographie westernienne, une tension entre la nature et l'homme qui la traverse. Tout n'y est que grandeur et désolation. Le désert ne présente que peu de points d'appui pour l'œil qui le parcourt, aussi le cadrage et le format cinémascope donnent-t-ils toute sa place à Hooker (Gary Cooper) qui, contemplatif et fasciné par cette beauté sauvage dépouillée à l'extrême, dit d'un ton désabusé: « Le Jardin du diable ….. si le monde était fait d'or, les hommes mourraient pour une poignée de poussière ». La fin du jour confronte Hooker à sa propre existence, à ses motivations, à la mort de plusieurs de ses compagnons, de ceux qui ont accepté, comme lui, d'aider Leah (Susan Hayward), une femme désireuse de porter secours à son mari bloqué au fond d'une mine d'or, dans une région inhospitalière, source de dangers, surnommée par les Apaches, qui en sont par ailleurs les gardiens, le « Jardin du diable ». Alors que la lumière perd de son intensité et dans cet univers écrasant, apparemment sans limites, Hooker regarde le soleil poursuivre sa course au-delà de la ligne d'horizon. Il n'est plus dans l'action mais dans une sorte de méditation désillusionnée sur la condition humaine que seul Gary Cooper, vieilli – il meurt six ans plus tard - pouvait incarner. À la manière de John Huston dans Le Trésor de la Sierra Madre (The Treasure of the Sierra Madre, 1948), Henry Hathaway nous dit que l'or n'est qu'une chimère et que l'appât du gain ne résout rien. La fin du Jardin du diable (Garden of Evil, 1954) laisse Hooker seul aux prises avec cette tentative d'affirmation de l'homme face aux passions corruptrices. Ce sens du tragique, mais aussi de la morale et de l'honneur, lui permet de se transcender, de maîtriser son destin et de matérialiser son humanisme au-delà de son tropisme qui le porte vers l'or et à la voracité qui s'y rattache inévitablement. L'essentiel pour lui n'est pas tant d'avoir été contraint de laisser Fiske (Richard Widmark), seul face aux Apaches pour protéger sa fuite et celle de Leah, que d'être, dans une volonté altruiste, revenu sur ses pas pour se mettre en péril et aider - en vain – son compagnon et ainsi mieux affirmer que sa vie a un sens.  La force dramatique du plan réside dans cette posture hiératique, cette attitude distanciée par rapport à la violence dont ces montagnes se sont fait l'écho, rendant les trajectoires humaines fragiles, mais propices à l'introspection. La nature reste la plus forte, suffisamment répulsive pour pousser Hooker à retourner vers la civilisation et à retrouver Leah, mise un peu plus tôt à l'abri, aux limites de ce désert que les Apaches ne menacent plus.




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