mercredi 12 janvier 2022

Un moment d'égarement chez Howard Hawks


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Faut-il être complètement égaré, voire passablement abscons pour abandonner comme le fait Tom Dunson (John Wayne), sa bien-aimée Fen (Coleen Gray), au milieu d'une caravane d'immigrants traversant les Grandes Plaines, en route vers la terre promise ! Le premier veut quitter le convoi avec son chariot, pour poursuivre en individualiste convaincu, sa propre route, à l'écart de la collectivité. Son objectif est de trouver une terre à pâturages, de s'y installer quel que soit le prix du sang à payer, et de bâtir un élevage destiné à faire pâlir de jalousie tous les grands propriétaires au nord du Rio Grande, puis de convier sa compagne à le rejoindre. Mais c'est sans compter la détermination de Fen qui refuse de le laisser partir sans elle. Autant le dire tout de suite, Tom commet une double erreur: se passer tout d'abord de la proximité de Fen, une jeune femme aussi solaire que passionnément bouillonnante, puis, de croire que celle-ci est en sécurité dans ce convoi, à l'abri des hors-la-loi ou des tribus indiennes qui écument la région. Restées hors-champ, l'attaque du convoi et sa destruction complète, infirmeront l'excès de prudence, l'intransigeance devrait-on dire, de Tom qui refusait d'exposer Fen aux risques inhérents à son rêve d'empire bovin. Bien mal lui en a pris. Peut-on imaginer geste plus définitif, plus énigmatique pour ne pas dire inepte alors que, totalement énamourée, Fen s'abandonne dans les bras de Tom (voir photogramme 1) tandis qu'à l'arrière-plan, les chariots bâchés traversent imperturbablement le cadre ? La durée du rôle de Coleen Gray est donc inversement proportionnelle au magnétisme qu'elle dégage (voir photogramme 2). Avec son ample chevelure tombant sur ses épaules, un visage épanoui au front haut, une silhouette altière et douce rehaussée par une longue robe blanche à pois, cette femme forte et déterminée irradie l'écran, mais ne séduit pas Tom suffisamment pour le faire changer d'avis. Cet instant est l'un des moments les plus harmonieux, les plus bouleversants de La Rivière rouge (Red River, Howard Hawks, 1948), d'autant plus éblouissant qu'il ne se renouvellera pas, pour laisser Tom à jamais meurtri et figé dans ce souvenir d'un amour avorté. Un instant poétique, éphémère que l'on ressent confusément comme tragique parce que trop absolu pour durer. La dure réalité de l'Ouest scellera définitivement le destin de ce couple que Tom et Fen imaginaient flamboyant. À ce moment de sa carrière, Coleen Gray avait déjà tourné avec Henry Hathaway (Le Carrefour de la mort/Kiss of Death, 1947), Edmund Goulding (Le Charlatan/Nightmare Alley, 1947) et H. Bruce Humberstone (Fury at Furnace Creek/Massacre à Furnace Creek, 1948). Après Howard Hawks, Hugo Fregonese (Quand les tambours s'arrêteront/Apache Drums, 1951), Phil Karson (Le Quatrième Homme/Kansas City Confidential, 1952) ou encore Stanley Kubrick (L'Ultime Razzia/The Killing, 1956) sauront lire dans les yeux de cette actrice, autant de passion envoûtante que de mélancolie sourde et lui donner des rôles de femme luttant en vain pour empêcher l'homme qu'elle aime de suivre un chemin à l'issue dramatique. Un résumé en somme de sa courte apparition dans La Rivière rouge.





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