2
Faut-il être complètement égaré, voire passablement
abscons pour abandonner comme le fait Tom Dunson (John Wayne), sa bien-aimée
Fen (Coleen Gray), au milieu d'une caravane d'immigrants traversant les Grandes
Plaines, en route vers la terre promise ! Le premier veut quitter le convoi avec
son chariot, pour poursuivre en individualiste convaincu, sa propre route, à
l'écart de la collectivité. Son objectif est de trouver une terre à pâturages,
de s'y installer quel que soit le prix du sang à payer, et de bâtir un élevage
destiné à faire pâlir de jalousie tous les grands propriétaires au nord du Rio
Grande, puis de convier sa compagne à le rejoindre. Mais c'est sans compter la
détermination de Fen qui refuse de le laisser partir sans elle. Autant le dire
tout de suite, Tom commet une double erreur: se passer tout d'abord de la
proximité de Fen, une jeune femme aussi solaire que passionnément bouillonnante,
puis, de croire que celle-ci est en sécurité dans ce convoi, à l'abri des
hors-la-loi ou des tribus indiennes qui écument la région. Restées hors-champ,
l'attaque du convoi et sa destruction complète, infirmeront l'excès de prudence,
l'intransigeance devrait-on dire, de Tom qui refusait d'exposer Fen aux risques
inhérents à son rêve d'empire bovin. Bien mal lui en a pris. Peut-on imaginer
geste plus définitif, plus énigmatique pour ne pas dire inepte alors que, totalement
énamourée, Fen s'abandonne dans les bras de Tom (voir photogramme 1) tandis qu'à
l'arrière-plan, les chariots bâchés traversent imperturbablement le cadre ? La
durée du rôle de Coleen Gray est donc inversement proportionnelle au magnétisme
qu'elle dégage (voir photogramme 2). Avec son ample chevelure tombant sur ses
épaules, un visage épanoui au front haut, une silhouette altière et douce rehaussée
par une longue robe blanche à pois, cette femme forte et déterminée irradie
l'écran, mais ne séduit pas Tom suffisamment pour le faire changer d'avis. Cet
instant est l'un des moments les plus harmonieux, les plus bouleversants de La
Rivière rouge (Red River, Howard Hawks, 1948), d'autant plus
éblouissant qu'il ne se renouvellera pas, pour laisser Tom à jamais meurtri et
figé dans ce souvenir d'un amour avorté. Un instant poétique, éphémère que l'on
ressent confusément comme tragique parce que trop absolu pour durer. La dure
réalité de l'Ouest scellera définitivement le destin de ce couple que Tom et Fen
imaginaient flamboyant. À ce moment de sa carrière, Coleen Gray avait déjà
tourné avec Henry Hathaway (Le Carrefour de la mort/Kiss of Death,
1947), Edmund Goulding (Le Charlatan/Nightmare Alley, 1947) et H.
Bruce Humberstone (Fury at Furnace Creek/Massacre à Furnace
Creek, 1948). Après Howard Hawks, Hugo Fregonese (Quand les tambours
s'arrêteront/Apache Drums, 1951), Phil Karson (Le Quatrième Homme/Kansas
City Confidential, 1952) ou encore Stanley Kubrick (L'Ultime Razzia/The
Killing, 1956) sauront lire dans les yeux de cette actrice, autant de
passion envoûtante que de mélancolie sourde et lui donner des rôles de femme
luttant en vain pour empêcher l'homme qu'elle aime de suivre un chemin à l'issue
dramatique. Un résumé en somme de sa courte apparition dans La Rivière rouge.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire