Hitler's Madman (1943) est le premier film
américain de Douglas Sirk. De son vrai nom Hans Detlef Sierck[1],
celui-ci a fui l'Allemagne nazie en 1937 pour rejoindre les États-Unis, après
un périple européen et suite à l'invitation que lui a faite la Warner Bros.
Bien qu'antinazi convaincu, il est suspect aux yeux de la communauté allemande déjà
exilée à Hollywood, en raison de son départ tardif et de ses immenses succès
obtenus sous l'égide de l'UFA[2]
contrôlée depuis 1933 par Joseph Goebbels. En effet, nombre de cinéastes, de
scénaristes, de compositeurs et d'acteurs ou d'actrices allemands et
autrichiens, très souvent juifs, avaient choisi de quitter, en 1933 ou peu
après, l'Allemagne nazie: Fritz Lang, Robert Siodmak, Otto Preminger, Peter
Lorre, Friedrich Höllander, Conrad Veidt ont ainsi rejoint la première vague
d'exilés partis avant l'arrivée au pouvoir de Hitler comme Ernst Lubitsch, Karl
Freund, Marlène Dietrich, ou encore Joseph von Sternberg. Douglas Sirk évite ce
microcosme, peu désireux d'expliquer l'ambiguïté d'avoir été célébré par les
autorités nazies tout en vouant aux gémonies, à titre privé et en toute
sincérité, le régime politique qui le finançait. Aussi, lorsqu'une petite
maison de production, la Producers Realising Corporation, lui propose le
scénario de Hitler's Madman, Douglas Sirk saute-t-il sur l'occasion pour
démontrer son attachement à la liberté et sa haine de l'hitlérisme, mais aussi
pour se purger de cette culpabilité qui le taraude depuis son arrivée en
Californie. Comme dans Les Bourreaux meurent aussi (Hangmen Also Die
!, Fritz Lang, 1943), le film s'inspire de l'attentat perpétré en 1942 par
la Résistance tchèque contre le Reichsprotektor Reinhard Heydrich et les
terribles représailles allemandes qui se traduiront par la destruction du
village de Lidice et de toute sa population. John Carradine – qui venait de
jouer la même année un agent de la Gestapo dans La Kermesse des gangsters
(I Escaped from the Gestapo, Harold Young) - incarne avec un sadisme
consommé le rôle de ce nazi emblématique de l'appareil répressif nazi (voir
photogramme). Revêtu de l'uniforme noir de SS-Gruppenführer, il vient
d'interrompre un cours de philosophie pour s'assoir sur une chaise sur laquelle
se tenait le professeur quelques instants plus tôt. Le talon de sa botte gauche
écrase le livre du philosophe prussien Emmanuel Kant, Vers la paix
perpétuelle (1795), un essai philosophique pacifiste totalement
contradictoire avec la propagande nationale-socialiste faisant de l'héritage
historique, politique et militaire prussien, un élément constitutif du IIIe
Reich. Avec un rictus aux lèvres exprimant toute sa morgue et sa suffisance,
Heydrich demande aux étudiants assis devant lui des volontaires pour partir sur
le front russe. Libéré de toute contrainte, Douglas Sirk veut montrer tout le
mépris qu'il éprouve vis-à-vis des nazis et laisser libre cours à sa volonté de
légitimer la liberté de pensée et la résistance à l'oppression. Pour le
réalisateur, la description de la dégénérescence mentale d'Heydrich sert autant
d'exutoire que de subterfuge pour enfin exprimer, à travers ce film de
propagande, ses idées progressistes et montrer à son pays d'adoption qu'il est
autre chose que le cinéaste plébiscité par les autorités nazies quelques années
plus tôt. « On m'avait précisé que c'était un film à très petit budget, pas
même une série B, mais une série C ou D. J'ai compris que c'était à la fois une
chance et un danger. Le film pouvait me servir, me lancer à Hollywood. Ou alors
me donner éternellement l'étiquette d'un réalisateur de série B [3]».
Le résultat plut à King Vidor et surtout à la MGM qui acheta le film. La
carrière hollywoodienne de Sirk était lancée ……
jeudi 14 octobre 2021
La déculpabilisation chez Douglas Sirk
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