dimanche 10 octobre 2021

La paranoïa chez John Frankenheimer



Burt Lancaster incarne dans Sept jours en mai (Seven Days in May, John Frankenheimer, 1964) James Matton Scott, un général de l'armée de l'air des États-Unis, à la veille d'organiser un coup d'État pour renverser le président américain Jordan Lyman (Fredric March), jugé trop faible et trop pacifiste face à l'Union soviétique. Ce militaire, bardé de médailles et convaincu d'être soutenu par une grande partie de la population, n'accepte pas le récent traité de désarmement nucléaire signé par les États-Unis et l'URSS. Informé du pronunciamento en cours par le colonel Jiggs Casey (Kirk Douglas), le Président convoque le général Scott dans le Bureau ovale de la Maison Blanche pour exiger sa démission (voir photogramme). Devant le Resolute desk [1], mais tourné vers Jordan Lyman (hors-champ), Scott refuse de se démettre et déverse sa rage et sa paranoïa anti-communiste. Il rêve de s'assoir derrière le bureau encadré à l'arrière-plan par les drapeaux américain et présidentiel, mais reste incapable de faire la différence entre une légitimité démocratique issue des urnes et des suffrages des citoyens, et un coup de force militaire et populiste plébiscité par une frange de la population manifestement fatiguée de vivre en démocratie. Son patriotisme dévoyé renforcé par une mégalomanie démesurée le pousse à sauter dans le vide. Dans la foulée de l'assassinat de JFK en 1963 (ce dernier tenait beaucoup à ce que Sept jours en mai se fasse, mais il n'en verra pas les images), le cinéma de John Frankenheimer, (auquel on peut rajouter Un crime dans la tête/A Manchurian Candidate, 1962), inaugure le cinéma paranoïaque et conspirationniste qui trouvera son apogée dans les années 70. De Klute (Alan J. Pakula, 1971) à Les Hommes du président (All the President's Men, Alan J. Pakula toujours, 1976) en passant par Conversations secrètes (The Conversation, F.F.Coppola, 1974), À cause d'un assassinat (The Parallax View, Alan J.Pakula, 1974) ou encore Les Trois jours du condor (Three Days of the Condor, Sydney Pollack, 1975), la liste est longue et représentative de cette angoisse sourde de forces destructrices, civiles ou militaires, minant de l'intérieur la démocratie américaine. Le général James Mattoon Scott est une synthèse des généraux Edwin Anderson Walker et Curtis LeMay. Le premier était un militaire raciste et ultra-conservateur, piétinant allègrement son devoir de réserve en cherchant en 1960 à orienter le vote des troupes sous son commandement en faveur de Richard Nixon. Démissionné par John F. Kennedy en 1961, il se lança dans la vie politique pour devenir gouverneur du Texas, en vain. Ce nouvel échec ne l'empêchera pas d'être à l'origine des émeutes qui éclatèrent en 1962 à l'Université du Mississippi pour empêcher l'inscription d'un étudiant noir. Son nom apparaît enfin dans l'enquête de la Commission Warren sur l'assassinat du président Kennedy, mais faute de preuves suffisantes, il ne fut jamais inquiété. Le deuxième est tout aussi extrémiste. Curtis LeMay était, comme James Matton Scott, général des forces aériennes des États-Unis. Boutefeu jusqu'au-boutiste, farouchement anti-communiste il ne raisonnait qu'en terme de déflagration nucléaire. Selon lui, les crises politico-militaires ne pouvaient se résoudre que par l'utilisation de la bombe atomique: ainsi pendant la crise du blocus de Berlin (1948-1949) et surtout la crise de Cuba (1962), il préconisait la manière forte en faisant intensément pression sur Truman, puis sur Kennedy. Retraité en 1965, comme Walker, il s'est essayé à la politique en se présentant en 1968 à la vice-présidence des États-Unis aux côtés du candidat d'un parti d'extrême-droite, George Wallace, un raciste notoire. Les électeurs en décideront autrement. N'est pas Dwight D. Eisenhower qui veut. Il est assez succulent de constater que dans le cadre de la représentation de la Guerre froide à l'écran, les bad guys des années soixante ne sont plus, comme dans les années 50, des infiltrés communistes menaçant la démocratie américaine (I Was a Communist for the FBI de Gordon Douglas en 1951), mais des officiers supérieurs prêts à tout et même au pire, dominés par leur hubris et persuadés qu'ils sont les seuls remparts contre l'ennemi soviétique pour sauver la démocratie américaine. Sept jours en mai nous tend, aujourd'hui encore, un miroir inquiétant: lorsqu'en 2020, le lieutenant-général retraité Michael Flynn a conseillé à Donald Trump de suspendre la Constitution pour promulguer la loi martiale afin de permettre à l'armée d'organiser de nouvelles élections, la réalité a bien dépassé la fiction.



[1] Bureau des Présidents des États-Unis offert par la reine Victoria en 1880.




1 commentaire:

  1. "L'angoisse sourde des forces destructrices" est de moins en moins sourde et muette... A qui la faute...

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