Burt Lancaster incarne dans Sept jours en mai
(Seven Days in May, John Frankenheimer, 1964) James Matton Scott, un
général de l'armée de l'air des États-Unis, à la veille d'organiser un coup
d'État pour renverser le président américain Jordan Lyman (Fredric March), jugé
trop faible et trop pacifiste face à l'Union soviétique. Ce militaire, bardé de
médailles et convaincu d'être soutenu par une grande partie de la population, n'accepte
pas le récent traité de désarmement nucléaire signé par les États-Unis et
l'URSS. Informé du pronunciamento en cours par le colonel Jiggs Casey
(Kirk Douglas), le Président convoque le général Scott dans le Bureau ovale de
la Maison Blanche pour exiger sa démission (voir photogramme). Devant le Resolute
desk [1],
mais tourné vers Jordan Lyman (hors-champ), Scott refuse de se démettre et déverse
sa rage et sa paranoïa anti-communiste. Il rêve de s'assoir derrière le bureau
encadré à l'arrière-plan par les drapeaux américain et présidentiel, mais reste
incapable de faire la différence entre une légitimité démocratique issue des
urnes et des suffrages des citoyens, et un coup de force militaire et populiste
plébiscité par une frange de la population manifestement fatiguée de vivre en
démocratie. Son patriotisme dévoyé renforcé par une mégalomanie démesurée le
pousse à sauter dans le vide. Dans la foulée de l'assassinat de JFK en 1963 (ce
dernier tenait beaucoup à ce que Sept jours en mai se fasse, mais il
n'en verra pas les images), le cinéma de John Frankenheimer, (auquel on peut
rajouter Un crime dans la tête/A Manchurian Candidate, 1962),
inaugure le cinéma paranoïaque et conspirationniste qui trouvera son apogée
dans les années 70. De Klute (Alan J. Pakula, 1971) à Les Hommes du
président (All the President's Men, Alan J. Pakula toujours, 1976)
en passant par Conversations secrètes (The Conversation,
F.F.Coppola, 1974), À cause d'un assassinat (The Parallax View,
Alan J.Pakula, 1974) ou encore Les Trois jours du condor (Three
Days of the Condor, Sydney Pollack, 1975), la liste est longue et
représentative de cette angoisse sourde de forces destructrices, civiles ou
militaires, minant de l'intérieur la démocratie américaine. Le général James Mattoon
Scott est une synthèse des généraux Edwin Anderson Walker et Curtis LeMay. Le
premier était un militaire raciste et ultra-conservateur, piétinant allègrement
son devoir de réserve en cherchant en 1960 à orienter le vote des troupes sous
son commandement en faveur de Richard Nixon. Démissionné par John F. Kennedy en
1961, il se lança dans la vie politique pour devenir gouverneur du Texas, en
vain. Ce nouvel échec ne l'empêchera pas d'être à l'origine des émeutes qui
éclatèrent en 1962 à l'Université du Mississippi pour empêcher l'inscription
d'un étudiant noir. Son nom apparaît enfin dans l'enquête de la Commission
Warren sur l'assassinat du président Kennedy, mais faute de preuves
suffisantes, il ne fut jamais inquiété. Le deuxième est tout aussi extrémiste.
Curtis LeMay était, comme James Matton Scott, général des forces aériennes des
États-Unis. Boutefeu jusqu'au-boutiste, farouchement anti-communiste il ne raisonnait
qu'en terme de déflagration nucléaire. Selon lui, les crises politico-militaires
ne pouvaient se résoudre que par l'utilisation de la bombe atomique: ainsi
pendant la crise du blocus de Berlin (1948-1949) et surtout la crise de Cuba
(1962), il préconisait la manière forte en faisant intensément pression sur Truman,
puis sur Kennedy. Retraité en 1965, comme Walker, il s'est essayé à la
politique en se présentant en 1968 à la vice-présidence des États-Unis aux
côtés du candidat d'un parti d'extrême-droite, George Wallace, un raciste
notoire. Les électeurs en décideront autrement. N'est pas Dwight D. Eisenhower
qui veut. Il est assez succulent de constater que dans le cadre de la
représentation de la Guerre froide à l'écran, les bad guys des années
soixante ne sont plus, comme dans les années 50, des infiltrés communistes
menaçant la démocratie américaine (I Was a Communist for the FBI de
Gordon Douglas en 1951), mais des officiers supérieurs prêts à tout et même au
pire, dominés par leur hubris et persuadés qu'ils sont les seuls remparts
contre l'ennemi soviétique pour sauver la démocratie américaine. Sept jours
en mai nous tend, aujourd'hui encore, un miroir inquiétant: lorsqu'en 2020,
le lieutenant-général retraité Michael Flynn a conseillé à Donald Trump de
suspendre la Constitution pour promulguer la loi martiale afin de permettre à
l'armée d'organiser de nouvelles élections, la réalité a bien dépassé la
fiction.
dimanche 10 octobre 2021
La paranoïa chez John Frankenheimer
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"L'angoisse sourde des forces destructrices" est de moins en moins sourde et muette... A qui la faute...
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