lundi 25 octobre 2021

Le cimetière de tramways chez William J. Hole Jr

 

Dans l'univers du film noir, Hell Bound (William J. Hole Jr, 1957) est typiquement un film de série B: un petit budget, un réalisateur plus connu à la télévision qu'au cinéma, des acteurs solides mais de second plan (John Russell et June Blair), une production indépendante des grands studios (Bel-Air Productions) et une durée proportionnelle au financement (71 minutes). Mais cette faiblesse de moyens, comme souvent, est compensée par une mise en scène très inventive, nerveuse, reposant tout à la fois sur un scénario millimétré (la préparation du cambriolage d'un cargo contenant pour deux millions de dollars de narcotiques), un noir et blanc, singularité du genre, magnifié par la caméra expressionniste du directeur de la photographie Carl E. Guthrie, des personnages marqués du sceau de la fatalité et des décors extérieurs de Los Angeles rarement vus au cinéma. Ce dernier point fait toute la saveur et l'originalité de Hell Bound puisque le final se déroule sur l'austère Terminal Island, une île artificielle située entre le port de Los Angeles et celui de Long Beach. Une chasse à l'homme entre le cerveau du gang Jordan (John Russel) et les forces de l'ordre est en cours. Dans sa fuite éperdue, celui-ci se heurte à un véritable mur de rangées de tramways empilées les unes sur les autres en équilibre instable, dans l'attente de leur démolition (voir photogramme). Ce cimetière d'acier et de câbles électriques est constitué des décombres de ce qu'était la Pacific Electric Railway Company ou Red Car System, le système de transport en commun du sud de la Californie créé en 1901. Dans les années 40, alors que la demande publique pour les transports collectifs ne cessait de diminuer, la compagnie de tramway et ses lignes ferroviaires seront progressivement - avec le soutien du Congrès américain - rachetées et démantelées par General Motors (automobile), Firestone Tires (pneumatique) et Standard Oil (pétrole) pour être remplacées par des autoroutes urbaines et donc des voitures, au nom des intérêts bien compris du cartel, cherchant à travers ce nouvel aménagement de l'espace urbain à contrôler le développement de la ville de Los Angeles et le déplacement de ses habitants. Le même modèle se reproduira dans d'autres grandes villes du pays. Abandonnés dans ce terrain vague, les tramways sont les témoins muets de cette époque révolue, des fantômes figés dans une poésie étrange, une poésie qui exsude l'échec et la ruine. C'est donc dans cette zone frontière désolée, entre le présent et le passé, que les comptes se règlent pour ce criminel pris de panique et au bord de la rupture. La mort, pour Jordan, est forcément au bout de sa fuite, tant ce mur de ferraille devenu archaïque semble l'écraser de toute sa hauteur.  Cherchant en vain une ouverture pour s'échapper, il est condamné autant par ceux qui le poursuivent que par sa conduite délictuelle. La tension dramatique présente dans le plan tient autant à la nervosité de cet hallali programmé qu'à son déroulement dans un cimetière de tôle et d'acier, signe prémonitoire de la chute du malfrat. Si William J. Hole Jr reste muet sur les enjeux qui ont mené ces tramways à la destruction, Robert Zemeckis en fera en 1988, l'arrière-plan de son film Qui veut la peau de Roger Rabbit ? (Who Framed Roger Rabbit ?) ou sous la comédie et la parodie du film noir, pointe la critique d'un capitalisme sans état d'âme.




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