Dans l'univers du film noir, Hell Bound
(William J. Hole Jr, 1957) est typiquement un film de série B: un petit budget,
un réalisateur plus connu à la télévision qu'au cinéma, des acteurs solides
mais de second plan (John Russell et June Blair), une production indépendante
des grands studios (Bel-Air Productions) et une durée proportionnelle au financement
(71 minutes). Mais cette faiblesse de moyens, comme souvent, est compensée par
une mise en scène très inventive, nerveuse, reposant tout à la fois sur un
scénario millimétré (la préparation du cambriolage d'un cargo contenant pour
deux millions de dollars de narcotiques), un noir et blanc, singularité du
genre, magnifié par la caméra expressionniste du directeur de la photographie
Carl E. Guthrie, des personnages marqués du sceau de la fatalité et des décors
extérieurs de Los Angeles rarement vus au cinéma. Ce dernier point fait toute
la saveur et l'originalité de Hell Bound puisque le final se déroule sur
l'austère Terminal Island, une île artificielle située entre le port de Los
Angeles et celui de Long Beach. Une chasse à l'homme entre le cerveau du gang
Jordan (John Russel) et les forces de l'ordre est en cours. Dans sa fuite
éperdue, celui-ci se heurte à un véritable mur de rangées de tramways empilées
les unes sur les autres en équilibre instable, dans l'attente de leur
démolition (voir photogramme). Ce cimetière d'acier et de câbles électriques
est constitué des décombres de ce qu'était la Pacific Electric Railway Company ou
Red Car System, le système de transport en commun du sud de la Californie créé
en 1901. Dans les années 40, alors que la demande publique pour les transports
collectifs ne cessait de diminuer, la compagnie de tramway et ses lignes
ferroviaires seront progressivement - avec le soutien du Congrès américain - rachetées
et démantelées par General Motors (automobile), Firestone Tires (pneumatique)
et Standard Oil (pétrole) pour être remplacées par des autoroutes urbaines et
donc des voitures, au nom des intérêts bien compris du cartel, cherchant à
travers ce nouvel aménagement de l'espace urbain à contrôler le développement
de la ville de Los Angeles et le déplacement de ses habitants. Le même modèle
se reproduira dans d'autres grandes villes du pays. Abandonnés dans ce terrain
vague, les tramways sont les témoins muets de cette époque révolue, des
fantômes figés dans une poésie étrange, une poésie qui exsude l'échec et la
ruine. C'est donc dans cette zone frontière désolée, entre le présent et le
passé, que les comptes se règlent pour ce criminel pris de panique et au bord
de la rupture. La mort, pour Jordan, est forcément au bout de sa fuite, tant ce
mur de ferraille devenu archaïque semble l'écraser de toute sa hauteur. Cherchant en vain une ouverture pour
s'échapper, il est condamné autant par ceux qui le poursuivent que par sa
conduite délictuelle. La tension dramatique présente dans le plan tient autant
à la nervosité de cet hallali programmé qu'à son déroulement dans un cimetière
de tôle et d'acier, signe prémonitoire de la chute du malfrat. Si William J.
Hole Jr reste muet sur les enjeux qui ont mené ces tramways à la destruction,
Robert Zemeckis en fera en 1988, l'arrière-plan de son film Qui veut la peau
de Roger Rabbit ? (Who Framed Roger Rabbit ?) ou sous la comédie et
la parodie du film noir, pointe la critique d'un capitalisme sans état d'âme.
lundi 25 octobre 2021
Le cimetière de tramways chez William J. Hole Jr
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