« Dans 3 semaines, je
moissonnerai mes terres. Imaginez où vous voudriez être. Et vous y serez. Tenez
la ligne, restez avec moi ! Si vous vous retrouvez tout seul, chevauchant dans
de verts pâturages avec le soleil sur le visage, n'en soyez pas troublé. Car vous
êtes aux Champs-Élysées, et vous êtes déjà mort. Mais, ce que l'on fait dans sa
vie résonne dans l'éternité ». En 180 après
Jésus-Christ, quelque part en Germanie, le général Maximus Decimus Meridius
(Russell Crowe) prononce ces phrases devant sa cavalerie, prête à charger des
hordes barbares qui troublent la pax romana en vigueur depuis l'avènement
de l'empereur Auguste (-27). Telle une prophétie macabre, ce discours, proclamé
au début de Gladiateur (Gladiator, Ridley Scott, 2000), trouve sa
concrétisation à la fin du film, lorsqu'après être passé du Capitole à la roche
Tarpéienne, autrement dit des honneurs militaires d'un général victorieux au
déclassement social de la gladiature, Maximus, blessé à mort par la traîtrise
d'un coup de couteau de l'empereur Commode (Joachim Phoenix) avant leur combat
dans l'arène du Colisée, est passé de l'autre côté du miroir pour rejoindre,
selon la mythologie gréco-romaine, les Champs Élysées. Ce lieu de séjour des
Enfers permet aux héros défunts et aux âmes pures, vertueuses et justes de
continuer à vivre dans l'au-delà pour l'éternité. Revêtu de son uniforme militaire constitué
d'une tunique surmontée d'une cuirasse et d'un tablier en cuir, Maximus traverse
un champ de blé dont les épis lui arrivent jusqu'à la taille. La lumière
crépusculaire inonde cet espace pastoral fait de ravines et de collines
ondulées qui ne sont que la matérialisation des propres terres du général déchu,
perdues autrefois par la faute d'un empereur tourmenté, aussi cruel que
tyrannique. Ce sol fécond, cette terre balayée par une brise légère et si riche
de plusieurs récoltes, ce paysage paisible au chatoiement cuivré s'apparentent
à une terre d'abondance et de prospérité que nul ne peut désormais souiller ni
dévaster. Ayant combattu à la tête des légions romaines pour la gloire de
l'Empire, puis dans les arènes pour sa renommée personnelle, de Maurétanie en
Afrique au Colisée à Rome, Maximus sort libéré de ces épreuves, libéré des territoires
hostiles qu'il a traversés, le glaive à la main. Sur le chemin qui serpente
jusque vers la ligne d'horizon, deux points courent vers lui: assassinés des
années plus tôt devant la maison familiale parce que Maximus refusait de prêter
allégeance au nouvel empereur Commode, son fils de huit ans et sa femme sont là.
Enfin réunis dans cette géographie funéraire au ton élégiaque, ils peuvent dès
lors goûter au repos qu'une vie antérieure leur a interdit. Aux cendres, au
sang et au fracas des armes, succèdent désormais la félicité et le rêve de
l'intemporalité. Revenu de l'enfer et de la mort, Maximus devient alors le
dépositaire d'une abstraction pour dire la perte et la chute mais aussi le
retour et l'immortalité. À l'instar du dernier plan de Thelma et Louise
(1991) figeant pour l'éternité l'image de la voiture des deux fugitives
au-dessus du Grand Canyon, la marche de Maximus vers sa famille magnifie cet instant
sachant « mener la vie au-delà d'elle-même[1]
».
dimanche 17 octobre 2021
L'au-delà chez Ridley Scott
S'abonner à :
Publier des commentaires (Atom)
Oh mais que c'est beau !!!
RépondreEffacerTu parviens à me bouleverser en parlant d'une scène qui m'avait laissé aussi froid que les étangs glacés du Tartare, quand je l'avais vue au cinéma.
Tu lui as fait boire l'eau du Léthé pour lui donner une autre chance hahaha