dimanche 17 octobre 2021

L'au-delà chez Ridley Scott



« Dans 3 semaines, je moissonnerai mes terres. Imaginez où vous voudriez être. Et vous y serez. Tenez la ligne, restez avec moi ! Si vous vous retrouvez tout seul, chevauchant dans de verts pâturages avec le soleil sur le visage, n'en soyez pas troublé. Car vous êtes aux Champs-Élysées, et vous êtes déjà mort. Mais, ce que l'on fait dans sa vie résonne dans l'éternité ». En 180 après Jésus-Christ, quelque part en Germanie, le général Maximus Decimus Meridius (Russell Crowe) prononce ces phrases devant sa cavalerie, prête à charger des hordes barbares qui troublent la pax romana en vigueur depuis l'avènement de l'empereur Auguste (-27). Telle une prophétie macabre, ce discours, proclamé au début de Gladiateur (Gladiator, Ridley Scott, 2000), trouve sa concrétisation à la fin du film, lorsqu'après être passé du Capitole à la roche Tarpéienne, autrement dit des honneurs militaires d'un général victorieux au déclassement social de la gladiature, Maximus, blessé à mort par la traîtrise d'un coup de couteau de l'empereur Commode (Joachim Phoenix) avant leur combat dans l'arène du Colisée, est passé de l'autre côté du miroir pour rejoindre, selon la mythologie gréco-romaine, les Champs Élysées. Ce lieu de séjour des Enfers permet aux héros défunts et aux âmes pures, vertueuses et justes de continuer à vivre dans l'au-delà pour l'éternité.  Revêtu de son uniforme militaire constitué d'une tunique surmontée d'une cuirasse et d'un tablier en cuir, Maximus traverse un champ de blé dont les épis lui arrivent jusqu'à la taille. La lumière crépusculaire inonde cet espace pastoral fait de ravines et de collines ondulées qui ne sont que la matérialisation des propres terres du général déchu, perdues autrefois par la faute d'un empereur tourmenté, aussi cruel que tyrannique. Ce sol fécond, cette terre balayée par une brise légère et si riche de plusieurs récoltes, ce paysage paisible au chatoiement cuivré s'apparentent à une terre d'abondance et de prospérité que nul ne peut désormais souiller ni dévaster. Ayant combattu à la tête des légions romaines pour la gloire de l'Empire, puis dans les arènes pour sa renommée personnelle, de Maurétanie en Afrique au Colisée à Rome, Maximus sort libéré de ces épreuves, libéré des territoires hostiles qu'il a traversés, le glaive à la main. Sur le chemin qui serpente jusque vers la ligne d'horizon, deux points courent vers lui: assassinés des années plus tôt devant la maison familiale parce que Maximus refusait de prêter allégeance au nouvel empereur Commode, son fils de huit ans et sa femme sont là. Enfin réunis dans cette géographie funéraire au ton élégiaque, ils peuvent dès lors goûter au repos qu'une vie antérieure leur a interdit. Aux cendres, au sang et au fracas des armes, succèdent désormais la félicité et le rêve de l'intemporalité. Revenu de l'enfer et de la mort, Maximus devient alors le dépositaire d'une abstraction pour dire la perte et la chute mais aussi le retour et l'immortalité. À l'instar du dernier plan de Thelma et Louise (1991) figeant pour l'éternité l'image de la voiture des deux fugitives au-dessus du Grand Canyon, la marche de Maximus vers sa famille magnifie cet instant sachant « mener la vie au-delà d'elle-même[1] ».

1 commentaire:

  1. Oh mais que c'est beau !!!
    Tu parviens à me bouleverser en parlant d'une scène qui m'avait laissé aussi froid que les étangs glacés du Tartare, quand je l'avais vue au cinéma.

    Tu lui as fait boire l'eau du Léthé pour lui donner une autre chance hahaha

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