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Ridley Scott a un rapport passionné à l'Histoire
qui ne s'est jamais démenti tout au long de sa filmographie, même si la lecture
de ses films doit souvent se faire à l'aune du contexte socio-politique du
moment. À titre d'exemple, Le Royaume des cieux (Kingdom of Heaven,
2005) est plus révélateur des relations complexes entre le monde occidental et
le monde musulman d'aujourd'hui qu'à celles de la fin du XIIe siècle. De même
pour 1492: Christophe Colomb (1492: Conquest of Paradise, 1992). Ce
film, tout en célébrant le 500e anniversaire de la « découverte » du
continent américain, n'esquive pas moins la responsabilité du navigateur dans
les prémices du grand ethnocide qui éradiquera en quelques années les
populations indigènes des Antilles, incapables de faire face aux mauvais
traitements et aux maladies. Le paradis du titre original s'est transformé en
enfer. L'ensemble des organisations indigènes du continent américain militait
depuis plusieurs années pour faire de cette commémoration 500 ans de
résistance. Dont acte. Dans 1492, Ridley Scott met en scène avec un
lyrisme exacerbé et une poésie envoûtante la première rencontre entre
Christophe Colomb (Gérard Depardieu) et la tribu des Taïnos sur Guanahani, une
île de l'archipel des Bahamas (voir photogrammes 1, 2 et 3). Le 12 octobre 1492
donc, après avoir débarqué au bout de neuf semaines de voyage transatlantique
et pris possession (!) de cette terre en la baptisant San Salvador, Christophe
Colomb et ses hommes, avancent difficilement à travers la végétation luxuriante
de la forêt tropicale qui les enveloppe de sa moiteur enivrante (photogramme
1). Les rayons du soleil percent difficilement la canopée, mais éclairent
néanmoins de leur lueur spectrale le groupe de conquistadores qui chemine prudemment
en suivant le cours d'un ruisseau. Les hallebardes, épées, casques et armures
qu'ils portent sont autant de signes immédiatement intelligibles traduisant
leur crainte de progresser dans un territoire forcément hostile parce
qu'inconnu et mystérieux. Le silence de la forêt, n'est troublé que par le son
du tambour que porte l'un des explorateurs. Et soudain, le temps s'arrête, pour
rester suspendu quelques secondes, alors qu'aucun des protagonistes ne réalise que
l'Histoire vient de basculer. Sortant comme d'un rêve de la brume, des Taïnos
apparaissent armés de lances, d'arcs et de flèches, uniquement revêtus d'un
pagne ceint autour de la taille. Après un temps d'hésitation, ils avancent vers
ces intrus avec autant de curiosité que d'appréhension (photogramme 2). Se
retrouvant face à face, les deux mondes se regardent intensément, se jaugent,
se touchent, éberlués devant cet Autre si différent, si proche et en même temps
si lointain (photogramme 3). À cette seconde, tout est encore possible. Cette
rencontre hypnotique de deux civilisations, prémonitoire des rapports de force
qui vont bientôt s'installer au détriment de ce peuple autochtone, s'apparente au
final au viol d'un sanctuaire, à une souillure d'un territoire que Christophe
Colomb et l'Espagne derrière lui entendent bien régenter. 1492 est
l'histoire d'un rendez-vous manqué, bientôt marqué du fer rouge de la
destruction.
" Sortant comme d'un rêve de la brume ", quel phrasé 😍 Est-ce là encore le fameux rêve américain, qui finit toujours en cauchemar ?
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