mercredi 6 octobre 2021

La rencontre chez Ridley Scott


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Ridley Scott a un rapport passionné à l'Histoire qui ne s'est jamais démenti tout au long de sa filmographie, même si la lecture de ses films doit souvent se faire à l'aune du contexte socio-politique du moment. À titre d'exemple, Le Royaume des cieux (Kingdom of Heaven, 2005) est plus révélateur des relations complexes entre le monde occidental et le monde musulman d'aujourd'hui qu'à celles de la fin du XIIe siècle. De même pour 1492: Christophe Colomb (1492: Conquest of Paradise, 1992). Ce film, tout en célébrant le 500e anniversaire de la « découverte » du continent américain, n'esquive pas moins la responsabilité du navigateur dans les prémices du grand ethnocide qui éradiquera en quelques années les populations indigènes des Antilles, incapables de faire face aux mauvais traitements et aux maladies. Le paradis du titre original s'est transformé en enfer. L'ensemble des organisations indigènes du continent américain militait depuis plusieurs années pour faire de cette commémoration 500 ans de résistance. Dont acte. Dans 1492, Ridley Scott met en scène avec un lyrisme exacerbé et une poésie envoûtante la première rencontre entre Christophe Colomb (Gérard Depardieu) et la tribu des Taïnos sur Guanahani, une île de l'archipel des Bahamas (voir photogrammes 1, 2 et 3). Le 12 octobre 1492 donc, après avoir débarqué au bout de neuf semaines de voyage transatlantique et pris possession (!) de cette terre en la baptisant San Salvador, Christophe Colomb et ses hommes, avancent difficilement à travers la végétation luxuriante de la forêt tropicale qui les enveloppe de sa moiteur enivrante (photogramme 1). Les rayons du soleil percent difficilement la canopée, mais éclairent néanmoins de leur lueur spectrale le groupe de conquistadores qui chemine prudemment en suivant le cours d'un ruisseau. Les hallebardes, épées, casques et armures qu'ils portent sont autant de signes immédiatement intelligibles traduisant leur crainte de progresser dans un territoire forcément hostile parce qu'inconnu et mystérieux. Le silence de la forêt, n'est troublé que par le son du tambour que porte l'un des explorateurs. Et soudain, le temps s'arrête, pour rester suspendu quelques secondes, alors qu'aucun des protagonistes ne réalise que l'Histoire vient de basculer. Sortant comme d'un rêve de la brume, des Taïnos apparaissent armés de lances, d'arcs et de flèches, uniquement revêtus d'un pagne ceint autour de la taille. Après un temps d'hésitation, ils avancent vers ces intrus avec autant de curiosité que d'appréhension (photogramme 2). Se retrouvant face à face, les deux mondes se regardent intensément, se jaugent, se touchent, éberlués devant cet Autre si différent, si proche et en même temps si lointain (photogramme 3). À cette seconde, tout est encore possible. Cette rencontre hypnotique de deux civilisations, prémonitoire des rapports de force qui vont bientôt s'installer au détriment de ce peuple autochtone, s'apparente au final au viol d'un sanctuaire, à une souillure d'un territoire que Christophe Colomb et l'Espagne derrière lui entendent bien régenter. 1492 est l'histoire d'un rendez-vous manqué, bientôt marqué du fer rouge de la destruction.  



 

1 commentaire:

  1. " Sortant comme d'un rêve de la brume ", quel phrasé 😍 Est-ce là encore le fameux rêve américain, qui finit toujours en cauchemar ?

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