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Les deux photogrammes sont extraits du somptueux
film de Joseph L. Mankiewicz, Ève (All About Eve, 1950). Dans le
premier, à l'arrière-plan et légèrement floue, Ève Harrington (Anne Baxter) est
une fervente admiratrice de Margo Channing (Bette Davis au premier plan, de
dos), une actrice de théâtre alors au sommet de sa gloire. Timide et réservée,
Ève vient d'entrer dans le premier cercle de la comédienne devenant tout à tour
sa secrétaire particulière, sa confidente, son accessoiriste et sa complice. Dans
les coulisses d'un théâtre, face à un miroir psyché, elle vient de se saisir
d'une robe de scène de Margo pour la plaquer sur elle sans se rendre compte que
sa bienfaitrice l'observe. Se rassasiant d'elle-même et de son image, elle
s'incline, se redresse, mimant les gestes d'une actrice saluant des spectateurs
fictifs, au son des applaudissements et des acclamations qu'elle seule entend. Ce
type de miroir mobile, inclinable à volonté, permettant de se regarder de la
tête aux pieds, est l'objet idéal, le vecteur de son égocentrisme et de sa
vanité. En un seul plan, Joseph L. Mankiewicz nous révèle la nature profonde, la
psyché[1]
d'Ève: une actrice en herbe rêvant de monter sur scène, une arriviste prête à
toutes les manipulations pour devenir une actrice de théâtre adulée. Se
rapprocher de Margo est la première étape de celle qui veut détrôner la diva
pour prendre sa place. Ne considérant les autres – et les hommes en particulier
– que comme le réceptacle de son amour d'elle-même, Ève est prête à tout pour
assouvir son désir de reconnaissance et de gloire. Le deuxième photogramme est
le dernier plan du film. Ève vient d'obtenir sous la forme d'une statuette le
prix Sarah Siddons[2]
récompensant la meilleure actrice de l'année. En rentrant à son hôtel, elle
découvre dans sa chambre une jeune inconnue, Phoebe (Barbara Bates). Comme en
écho au début du film et au photogramme 1, la jeune femme propose ses services
à celle qu'elle admire. Laissée seule, occupée à ranger les vêtements, Phoebe se
revêt du costume en hermine qu'Ève portait au moment de la remise de la
récompense suprême, s'empare de la statuette et se contemple dans un miroir à
trois côtés réfléchissant son image à l'infini pour mieux endosser le succès
d'Ève et s'étourdir de l'adoration d'un public imaginaire (voir photogramme). Dans
ce film, Joseph L. Mankiewicz vitriole le milieu du théâtre – et par ricochet
celui du cinéma - en dénonçant tout autant la quête de la célébrité à tout prix
que le monde du spectacle avide de jeunes actrices et de nouveaux visages sans
parler de l'inévitable désillusion face aux critiques de la presse et des
spectateurs. Tout à son narcissisme et en dépit du prisme du miroir, la jeune
femme ne se rend pas compte de la multiplication d'autres Phoebe, prêtes, quand
leur tour viendra, à lui voler une célébrité nécessairement éphémère, comme Ève
le fit avec Margo.
[1]
Ensemble des éléments conscients ou
inconscients du comportement individuel. Dans la mythologie, Psyché était une jeune
princesse dont Éros tomba amoureux.
[2] Prix inventé par Mankiewicz pour les
besoins du film puis créé en 1952 par des mécènes du Chicago Theatre. Il
promeut l'excellence au théâtre.
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