vendredi 29 octobre 2021

Le miroir chez Joseph L. Mankiewicz

 
1

2
Les deux photogrammes sont extraits du somptueux film de Joseph L. Mankiewicz, Ève (All About Eve, 1950). Dans le premier, à l'arrière-plan et légèrement floue, Ève Harrington (Anne Baxter) est une fervente admiratrice de Margo Channing (Bette Davis au premier plan, de dos), une actrice de théâtre alors au sommet de sa gloire. Timide et réservée, Ève vient d'entrer dans le premier cercle de la comédienne devenant tout à tour sa secrétaire particulière, sa confidente, son accessoiriste et sa complice. Dans les coulisses d'un théâtre, face à un miroir psyché, elle vient de se saisir d'une robe de scène de Margo pour la plaquer sur elle sans se rendre compte que sa bienfaitrice l'observe. Se rassasiant d'elle-même et de son image, elle s'incline, se redresse, mimant les gestes d'une actrice saluant des spectateurs fictifs, au son des applaudissements et des acclamations qu'elle seule entend. Ce type de miroir mobile, inclinable à volonté, permettant de se regarder de la tête aux pieds, est l'objet idéal, le vecteur de son égocentrisme et de sa vanité. En un seul plan, Joseph L. Mankiewicz nous révèle la nature profonde, la psyché[1] d'Ève: une actrice en herbe rêvant de monter sur scène, une arriviste prête à toutes les manipulations pour devenir une actrice de théâtre adulée. Se rapprocher de Margo est la première étape de celle qui veut détrôner la diva pour prendre sa place. Ne considérant les autres – et les hommes en particulier – que comme le réceptacle de son amour d'elle-même, Ève est prête à tout pour assouvir son désir de reconnaissance et de gloire. Le deuxième photogramme est le dernier plan du film. Ève vient d'obtenir sous la forme d'une statuette le prix Sarah Siddons[2] récompensant la meilleure actrice de l'année. En rentrant à son hôtel, elle découvre dans sa chambre une jeune inconnue, Phoebe (Barbara Bates). Comme en écho au début du film et au photogramme 1, la jeune femme propose ses services à celle qu'elle admire. Laissée seule, occupée à ranger les vêtements, Phoebe se revêt du costume en hermine qu'Ève portait au moment de la remise de la récompense suprême, s'empare de la statuette et se contemple dans un miroir à trois côtés réfléchissant son image à l'infini pour mieux endosser le succès d'Ève et s'étourdir de l'adoration d'un public imaginaire (voir photogramme). Dans ce film, Joseph L. Mankiewicz vitriole le milieu du théâtre – et par ricochet celui du cinéma - en dénonçant tout autant la quête de la célébrité à tout prix que le monde du spectacle avide de jeunes actrices et de nouveaux visages sans parler de l'inévitable désillusion face aux critiques de la presse et des spectateurs. Tout à son narcissisme et en dépit du prisme du miroir, la jeune femme ne se rend pas compte de la multiplication d'autres Phoebe, prêtes, quand leur tour viendra, à lui voler une célébrité nécessairement éphémère, comme Ève le fit avec Margo.  



[1] Ensemble des éléments conscients ou inconscients du comportement individuel. Dans la mythologie, Psyché était une jeune princesse dont Éros tomba amoureux.

[2] Prix inventé par Mankiewicz pour les besoins du film puis créé en 1952 par des mécènes du Chicago Theatre. Il promeut l'excellence au théâtre.






Aucun commentaire:

Publier un commentaire