« Prenez
Sydney par exemple. Si Sidney s'approchait de Susie, je lui fendrais le crâne
avec une batte de base-ball ». Cette phrase assassine prononcée par J.J.
Hunsecker, puissant éditorialiste d'un journal new-yorkais, The Globe, (Burt
Lancaster, à gauche) à destination de Sidney Falco, un attaché de presse sans
envergure (Tony Curtis, à droite), n'est qu'une autre humiliation subie en
public, sans que cela ne suscite la moindre réaction de la part de ce dernier.
Bien au contraire, alors que J.J. s'apprête à porter une cigarette à ses lèvres,
Sidney a déjà dégainé un briquet pour satisfaire les faits et gestes de son
patron, sans que celui-ci n'ait besoin de dire un mot. Dans Le Grand Chantage (Sweet Smell of Success, 1957), Alexander Mackendrick dépeint deux
hommes aussi abjects et vils l'un que l'autre. Le premier fait et défait les
réputations des célébrités dans une presse à scandale tout en célébrant la
démocratie dans ses discours, alors que le second, avide d'argent et de
renommée, cherche par tous les moyens à s'attirer les bonnes grâces de J.J. pour devenir son âme damnée, son exécuteur des basses œuvres, en obéissant
servilement aux ordres donnés. L'attaché de presse est justement chargé de
rompre, par tous les moyens possibles, la relation amoureuse existant entre la
sœur de J.J., Susie (Susan Harrison) et un guitariste de jazz, Steve Dallas
(Martin Milner), union que refuse J.J. Dans une entente bien comprise, puisque
chacun a besoin de l'autre, J.J. et Sidney ne sont que deux facettes d'un même personnage
qui évolue dans les bas-fonds de l'âme humaine, un personnage–miroir, masquant
à peine ses instincts de tueur. Véritable démiurge, cynique et démagogue, sans
scrupules et sans éthique, J.J. aime humilier les autres et particulièrement
Sidney qui n'en a cure puisqu'il boit le calice jusqu'à la lie. Avec son
physique avantageux et sa logorrhée obséquieuse, Sidney virevolte, tourne
autour de J.J. comme une planète en orbite autour du soleil. Son geste rampant d'empressement
pour allumer la cigarette de J.J. s'inscrit dans un rituel de flagornerie, de
mensonge, de tricherie et d'hypocrisie qui fait de lui, à l'instar de Harry
Fabian (Night and the City/Les Forbans de
la nuit, Jules Dassin, 1950), un personnage paroxystique et pathétique. Ces
deux monstres font à New-York ce que The
Big Knife (Robert Aldrich, 1955) (1) a fait à Hollywood, c'est-à-dire décrire
un monde décadent, gangréné par les rapports de force, l'argent et le succès
qui se fait et se défait aussi rapidement que s'écrivent les éditoriaux. « Monsieur Falco est un homme aux quarante
visages, pas si jolis que cela et toujours trompeurs » dit une autre fois J.J.
Hunsecker. L'élève se révèle aussi brillant que le maître, prêt à piétiner les
autres pour parvenir à exister et à capter un peu de lumière qui irradie la
personnalité machiavélique de J.J. Le film « permet à Mackendrick d'autopsier au scalpel une société où le culte de
l'accessoire, la prédominance du médiatique sur la réalité détruisent la
hiérarchie des valeurs, abolissent la perspective, créent un système autarcique
capable de se suicider par suffisance » (2).
(1) Voir la
chronique Le générique chez Robert
Aldrich
(2) Cinquante
ans de cinéma américain de Jean-Pierre Coursodon et Bertrand Tavernier,
Éditions Nathan, 1995, p.681.
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