lundi 4 mars 2019

Le cynisme et la veulerie chez Alexander Mackendrick



« Prenez Sydney par exemple. Si Sidney s'approchait de Susie, je lui fendrais le crâne avec une batte de base-ball ». Cette phrase assassine prononcée par J.J. Hunsecker, puissant éditorialiste d'un journal new-yorkais, The Globe, (Burt Lancaster, à gauche) à destination de Sidney Falco, un attaché de presse sans envergure (Tony Curtis, à droite), n'est qu'une autre humiliation subie en public, sans que cela ne suscite la moindre réaction de la part de ce dernier. Bien au contraire, alors que J.J. s'apprête à porter une cigarette à ses lèvres, Sidney a déjà dégainé un briquet pour satisfaire les faits et gestes de son patron, sans que celui-ci n'ait besoin de dire un mot. Dans Le Grand Chantage (Sweet Smell of Success, 1957), Alexander Mackendrick dépeint deux hommes aussi abjects et vils l'un que l'autre. Le premier fait et défait les réputations des célébrités dans une presse à scandale tout en célébrant la démocratie dans ses discours, alors que le second, avide d'argent et de renommée, cherche par tous les moyens à s'attirer les bonnes grâces de J.J. pour devenir son âme damnée, son exécuteur des basses œuvres, en obéissant servilement aux ordres donnés. L'attaché de presse est justement chargé de rompre, par tous les moyens possibles, la relation amoureuse existant entre la sœur de J.J., Susie (Susan Harrison) et un guitariste de jazz, Steve Dallas (Martin Milner), union que refuse J.J. Dans une entente bien comprise, puisque chacun a besoin de l'autre, J.J. et Sidney ne sont que deux facettes d'un même personnage qui évolue dans les bas-fonds de l'âme humaine, un personnage–miroir, masquant à peine ses instincts de tueur. Véritable démiurge, cynique et démagogue, sans scrupules et sans éthique, J.J. aime humilier les autres et particulièrement Sidney qui n'en a cure puisqu'il boit le calice jusqu'à la lie. Avec son physique avantageux et sa logorrhée obséquieuse, Sidney virevolte, tourne autour de J.J. comme une planète en orbite autour du soleil. Son geste rampant d'empressement pour allumer la cigarette de J.J. s'inscrit dans un rituel de flagornerie, de mensonge, de tricherie et d'hypocrisie qui fait de lui, à l'instar de Harry Fabian (Night and the City/Les Forbans de la nuit, Jules Dassin, 1950), un personnage paroxystique et pathétique. Ces deux monstres font à New-York ce que The Big Knife (Robert Aldrich, 1955) (1) a fait à Hollywood, c'est-à-dire décrire un monde décadent, gangréné par les rapports de force, l'argent et le succès qui se fait et se défait aussi rapidement que s'écrivent les éditoriaux. « Monsieur Falco est un homme aux quarante visages, pas si jolis que cela et toujours trompeurs » dit une autre fois J.J. Hunsecker. L'élève se révèle aussi brillant que le maître, prêt à piétiner les autres pour parvenir à exister et à capter un peu de lumière qui irradie la personnalité machiavélique de J.J. Le film « permet à Mackendrick d'autopsier au scalpel une société où le culte de l'accessoire, la prédominance du médiatique sur la réalité détruisent la hiérarchie des valeurs, abolissent la perspective, créent un système autarcique capable de se suicider par suffisance » (2).

(1)  Voir la chronique Le générique chez Robert Aldrich
(2) Cinquante ans de cinéma américain de Jean-Pierre Coursodon et Bertrand Tavernier, Éditions Nathan, 1995, p.681.



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