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Dans
Point Limite Zéro (Vanishing Point, Richard C. Sarafian, 1971), Kowalski
(Barry Newman) est l'un de ces perdants magnifiques que le Nouvel Hollywood a
aimé mettre en scène. À l'instar de Bonnie et Clyde[1],
de Wyatt et Billy[2],
de Robert[3]
ou encore de Max et Francis[4],
il est en profonde rupture avec la société conservatrice dans laquelle il
évolue et décide de couper les amarres pour se lancer le défi, aussi
irrationnel qu'enragé, de faire, au volant de sa Dodge Challenger blanche, Denver-San
Francisco en quinze heures. En raison de la distance, (deux mille treize kms)
et du temps normalement nécessaire (dix-huit heures et seize minutes),
Kowalsky, vétéran du Vietnam, ancien coureur automobile et ex-policier, n'a
d'autre choix que de rouler à tombeau ouvert à travers les étendues désertiques
de l'Ouest américain (photogramme 1). Avalant le bitume et les kilomètres, sa
voiture est attirée comme un aimant vers ce point de fuite – le vanishing point
du titre – qui se perd derrière l'horizon. L'inutilité et la gratuité du geste
sont à la hauteur du mépris que cet ancien du Vietnam, toujours manifestement
habité par des démons hérités de la guerre, jette à la face de toutes les
institutions, et particulièrement à celle de la police qui va rapidement le
prendre en chasse. Cette course-poursuite vers l'abîme s'apparente à un
jusqu'au-boutisme libertaire et contestataire très en phase avec l'époque des
remises en question sociale, politique et culturelle aux États-Unis et dans le
monde occidental. Le plan large utilisé par Sarafian lui permet de traduire,
entre ciel et terre, l'immensité d'un espace nu, écrasé par la chaleur, avalant
le bolide. Dans son odyssée existentielle et suicidaire, Kowalski est soutenu à
distance, et sur les ondes radiophoniques d'une station perdue dans le désert
de Mojave, par Super Soul (Cleavon Little, photogramme 2), un DJ noir, aveugle,
doté d'une fougue galvanisante qui s'empare de cette chasse à l'homme pour électriser
tous les anonymes qui suivent l'échappée de Kowalski. « Et la Challenger est
toujours pourchassée par la bande de lâches. La grande horde malfaisante
poursuit notre pilote solitaire, le dernier héros américain, le demi-dieu, le
meilleur pilote de tout l'Ouest » dit-il, survolté au micro de sa radio. Doté
d'une logorrhée quasi-mystique, aussi exalté que Kowalski est taciturne,
portant des lunettes noires style Dirty Harry, Super Soul, dans un long talking
blues à la Ray Charles, vocifère, danse sur place sans jamais lâcher son
micro, conseille à l'automobiliste les meilleurs itinéraires pour éviter la
police, se fait le porte-parole et le guide de Kowalski, cet anti-héros, revenu
de tout et surtout de l'Amérique nixonienne, prompte à écraser tous les
rebelles. Dans cette bourgade endormie du Nevada, les modulations de sa voix
s'élèvent en ondes de chaleur pour mieux libérer l'énergie nécessaire à la
contestation de tous les contempteurs de cette transgression routière et
radiophonique.
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