mercredi 7 juillet 2021

La métamorphose chez David Cronenberg



Véritables obsessions, la décomposition et les mutations de la chair sont au cœur de l'œuvre du cinéaste canadien David Cronenberg. Lorsqu'il réalise en 1986 La Mouche (The Fly), Frissons (Shivers, 1975), Rage (Rabid, 1977) et Chromosome 3 (The Brood, 1979) avaient déjà évoqué les rapports entre le corps humain et le monstrueux par, respectivement, la contamination de personnages par un parasite, l'apparition d'un dard suite à une greffe de peau transformant une femme en vampire et le surgissement de tumeurs, révélatrices de troubles mentaux, chez les patients d'un psychiatre. L'univers de Cronenberg est peuplé d'êtres torturés par des démons intérieurs et des corps étrangers qui prennent possession de celui ou celle qui aime manipuler la structure moléculaire de l'être humain. Dans La Mouche, Seth Brundle (Jeff Goldblum) est ce scientifique, aussi génial que singulier, qui a mis au point dans son laboratoire un télépod, une invention capable en décomposant la matière pour la reconstituer, de téléporter d'une cabine à l'autre un objet ou un être vivant. Sur les traces des Docteurs Griffin[1] et Jekyll, Seth, aussi aventureux que téméraire, tente l'expérience sur lui-même, se dévêt, entre dans le télépod et actionne, par ordinateur interposé, sa téléportation. À travers un hublot en forme d'œil à facettes[2] (photogramme), son profil apparaît flou alors que la mise au point se fait sur un intrus collé sur la vitre dont Seth n'a pas conscience: un insecte de l'ordre des diptères, doté d'une paire d'ailes, d'un corps cylindrique, d'une tête particulièrement mobile, de six pattes et d'un vrombissement caractéristique - que le spectateur a entendu, mais pas Seth – …… une mouche. Cronenberg filme dans le même plan celui qui cherche à transgresser ses limites corporelles et cet hexapode insignifiant capable de mettre en échec l'intelligence, la rationalité et le travail de Seth. En dépit de l'univers très contrôlé dans lequel vit le savant, l'accident est en place et apparaît d'autant plus dissonant que Seth avait réussi auparavant à téléporter un babouin avec succès. À ce moment, Seth et la mouche forment encore deux corps distincts mais déjà réunis dans le même habitacle et bientôt fusionnés en une seule entité par un ordinateur incapable de faire la différence entre deux patrimoines génétiques différents. Lors de la reconstitution des organismes, Seth Brundle a perdu son titre d'être humain et la mouche a abandonné son rang d'insecte. De ce syncrétisme anatomique va naître l'horreur de la dégradation des organes et des cellules de Seth, prélude au pourrissement de la chair et à une métamorphose en une créature insectoïde aussi répulsive que menaçante. Dans sa description d'un scientifique au prénom prédestiné[3], dominé par son hubris et son énergie démiurgique, mais anéanti par son invention, Cronenberg fait incontestablement mouche.

 


[1] Dans L'Homme invisible (James Whale, 1933), Jack Griffin est un savant qui teste sur lui une drogue qui le rend invisible. Sans antidote pour retrouver sa forme originelle et sous le coup d'effets secondaires, il devient un meurtrier.

[2] Œil d'insecte

[3] Dans la mythologie égyptienne, Seth est le dieu du tonnerre et de la foudre



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