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« C'est une grande erreur de croire que l'Indien
est né pour être inévitablement un sauvage. Il est né vierge comme nous. Laissé
dans un milieu de sauvages, on devient naturellement un sauvage. Mais
transférez l'enfant né sauvage dans un milieu civilisé et il acquerra une
langue et des habitudes civilisées. Le Président Hayes et le Congrès m'ont
accordé l'usage de casernes à Carlisle en Pennsylvanie pour une école modèle
pour les Indiens et m'a autorisé à recruter 125 enfants pour une classe
d'inauguration. Si l'Indien doit s'intégrer, on doit le mettre dans le bain de
la citoyenneté américaine. Il faut plonger l'Indien dans les eaux de la
civilisation ». C'est par ces mots terribles, prononcés en toute bonne
conscience par le brigadier- général Richard Henry Pratt (Keith Carradine), que
le sort de très nombreux jeunes Indiens d'Amérique du Nord a été scellé. Un
cigare à la main, sûr de sa mission de faire le bien pour le mieux, nourri de
certitudes et de cette arrogance raciste propre à celui qui se sent investi
d'une mission qui ne souffre aucune critique, cet officier est convaincu qu'il
faut « tuer l'Indien pour sauver l'homme » (photogramme 1). L'assimilation
agressive à la culture blanche est, pour lui, la seule façon de garantir un
avenir à ces peuples vaincus et désormais confinés dans des réserves. Pour réaliser
cela, Pratt va séparer les enfants, plus malléables que les adultes, de leur
famille pour qu'ils soient déportés à des milliers de kilomètres à l'est. Première
étape de ce génocide culturel décidé par Washington, le pensionnat créé à
Carlisle en 1879 a accueilli tout d'abord des enfants sioux lakotas des réserves de
Pine Ridge et de Rosebud (Dakota du Sud) pour un véritable nettoyage ethnique qui
ne dit pas son nom. Dans le photogramme 2, George (Nakotah LaRance), Voices
That Carry dans une autre vie, est l'un de ces adolescents lakotas qui subit, depuis
de longues semaines, l'éducation au forceps professée par Pratt: cheveux coupés
courts, vêtements traditionnels abandonnés pour être remplacés par un uniforme,
chaussures en lieu et place des mocassins, obligation de se choisir un prénom
chrétien, interdiction de pratiquer sa langue d'origine, enseignement de la
religion chrétienne, de l'anglais, de l'histoire des États-Unis, tout est fait
pour détruire son identité indienne. Un soir, dressé sur son lit dans le
dortoir qu'il partage avec ses infortunés compagnons, il regarde la machine à
écrire qui se tient sur sa table de chevet à gauche de l'écran. Vecteur de la
pensée et de l'écrit, symbole de modernité puisque née en 1874, cet objet rime
pourtant ici avec déculturation et détribalisation puisque George vient d'un
monde essentiellement oral. Il apparaît pris dans une nasse, déchiré entre sa
volonté de sauvegarder, envers et contre tout, ses origines et sa compréhension
du monde dans lequel il sera désormais obligé de vivre. Le tragique de la
situation se tient entre cette machine à écrire et le cheminement intérieur de
George, comme si celui-ci pressentait déjà qu'il ne pourra quitter cette
lisière entre deux mondes que tout sépare: celui de son peuple déchu et celui
des Blancs cherchant à lui imposer l'American way of life; c'est-à-dire
quelqu'un éloigné de lui-même, disloqué par deux forces antagonistes. La remarquable
mini-série Into The West (2005), produite par Steven Spielberg pour la
chaîne câblée TNT, raconte en six épisodes les itinéraires croisés de deux
familles, l'une lakota et l'autre blanche, de 1825 à 1890. Elle présente pour
la première fois dans l'épisode cinq réalisé par Timothy Van Patten, l'histoire
terrible de ces pensionnats indiens qui résonnent, aux États-Unis comme au
Canada, comme autant de plaintes et de douleurs dans la mémoire des peuples des
Premières Nations. Un autre film américain, Enterre mon cœur à
Wounded Knee (Bury My Heart at Wounded Knee, 2007) produit par HBO
et réalisé par le Québécois Yves Simoneau, rebondira sur ce thème comme pour mieux
fouailler la plaie et exorciser la faute originelle. Le cinéma canadien ne sera
pas en reste avec Cheval indien (Indian Horse, Stephen
Campanelli, 2017) mettant en scène un jeune Ojibwé, Saul Indian Horse, opprimé
par les méthodes coercitives des pères catholiques et trouvant temporairement son
salut dans le hockey. La tardive et encore timide reconnaissance de l'histoire
de ces pensionnats au cinéma, comme dans la sphère publique, illustre une
amnésie volontaire et un refus de se pencher sur cette mémoire de la honte
restée un écran noir, vierge de tous remords. La mauvaise conscience et le
non-dit culpabilisateur expliquent le mutisme relatif de l'image alimenté par
la crainte de ne pas trouver un large public. Il n'est pas innocent que ce soit
la télévision, moins soucieuse de rentabilité immédiate que le cinéma, qui ait
donné les premiers signes d'une résurgence de cette blessure qui refuse
désormais de tomber dans l'oubli.
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