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Cette célèbre séquence est aussi glaçante que la
température de l'eau de ce lac de montagne dans le Maine qui sert de cadre champêtre
aux entreprises perfides de la femme fatale la plus dévoyée et la plus
ténébreuse de l'histoire du film noir. Dans Péché mortel (Leave her
to Heaven, John M. Stahl, 1945), Ellen (Gene Tierney), récemment marié à l'écrivain
Richard Harland (Cornel Wilde), est pathologiquement jalouse envers quiconque
détourne d'elle l'attention de son mari. Souffrant d'un égotisme exacerbé
confinant à la folie, profondément marquée par le récent décès de son père dont
la ressemblance avec Richard est troublante, elle doit rester l'alpha et
l'oméga de la vie de celui-ci et ne souffre aucune présence qui la forcerait à
partager leur quotidien. Si l'éloignement ne suffit pas (le gardien du lodge
est congédié), le meurtre contre celui qui accapare à ce moment l'empathie et
la sollicitude de son mari est alors la solution ultime. En effet, dévorée par
une passion mortifère et incandescente, Ellen supporte de moins en moins la
présence de son jeune beau-frère Danny poliomyélitique, mais disert et volubile
en dépit de son infirmité. Les traits magnifiques et marmoréens que prête Gene
Tierney à Ellen tranchent avec son âme sinistre et profondément déséquilibrée,
mais aussi avec le décor paisible qui forme le cadre de la tragédie à venir. Le
ciel d'un bleu intense, traversé par quelques nuages, domine une forêt de hauts
conifères qui laisse néanmoins apparaître le chalet familial et son
embarcadère. Le lac, dont les eaux font miroiter les rayons du soleil, apparaît
profond et tranquille comme au commencement du monde. Ce petit Eden respire sans
conteste la quiétude, l'apaisement et le silence pour former un havre de paix
et de bonheur partagé…. en apparence. Alors que Richard se promène seul dans la
forêt, Ellen ourdit un plan aussi machiavélique que criminel. Prétextant un
exercice de natation pour muscler ses jambes, Danny se retrouve avec Ellen dans
une barque à rames. Se mettant à l'eau, il cherche à l'impressionner en voulant
atteindre la rive opposée. Encouragé dans ce sens par Ellen, il présume de ses
forces et finit par demander l'aide de sa belle-sœur, la suppliant très rapidement
de venir à son secours. Ayant chaussé des lunettes noires, comme pour masquer
le spectacle de sa forfaiture, Ellen reste de marbre, impassible, froide et
implacable (photogramme 1). Seuls les petits mouvements de ses avant-bras manoeuvrant
de manière imperturbable les avirons pour maintenir sa position viennent
troubler son attitude hiératique et distanciée. Avec une profonde perversité et
dénuée du moindre remords, Ellen laisse Danny se noyer dans les eaux sombres du
lac. Des bulles d'air perçant la surface de l'eau témoignent de la présence,
quelques secondes plus tôt, de l'infortuné nageur, victime de la folie d'une
femme qui pense que posséder son mari ne peut se faire qu'au prix de la mort
d'autrui (photogramme 2). Le Technicolor utilisé pour la première fois dans le
film noir donne encore plus de relief au chromatisme de ce paysage bucolique
rendant d'autant plus atroce le geste assassin d'Ellen.
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