Acte
de violence (Act of
Violence, Fred Zinnemann, 1948) est un très grand film noir. Trois ans
après la fin de la Seconde Guerre mondiale, rescapé d'un camp de prisonniers,
un ancien soldat, Joe Parkson (Robert Ryan) traque un compagnon de captivité,
Frank Enley (Van Heflin) qui avait trahi ses hommes contre de la nourriture, alors
que ces derniers se préparaient à s'évader. Tous furent tués à l'exception de Joe,
sorti de l'épreuve néanmoins estropié. En dépit de cette culpabilité et de
cette mauvaise conscience, Frank, de retour aux États-Unis, est célébré comme
un héros de guerre. Devenu un paisible habitant d'une ville californienne, Santa
Lisa, il est désormais très investi dans sa communauté aux côtés de son épouse
Edith (Janet Leigh) et de son petit garçon. Le surgissement de Joe dans sa vie
remet en cause ce fragile équilibre tissé entre l'image qu'il donne de lui-même
et le mensonge qui le hante. Désemparé, rongé par la culpabilité et poursuivi
par celui qui ne lui pardonne pas sa faute et sa forfaiture, Frank se réfugie
dans les bas-fonds de la ville, fait la connaissance d'un proxénète, Johnny
(Barry Kroeger), qui lui propose d'abattre Parkson en échange d'une forte somme
d'argent. Le piège est tendu à la gare de Santa Lisa (photogramme), après une
course-poursuite nocturne entre Joe et Frank, à travers les rues désertes de la
ville. À cette heure tardive de la nuit, le décor pour la tragédie finale,
magnifié par la photographie de Robert Surtees, est en place: enveloppée dans
l'obscurité, la gare déserte est éclairée par des halos en autant de plages lumineuses
éparses et la pluie qui vient de s'arrêter rend la froideur de ce paysage
urbain encore plus menaçante. Joe, une arme à la main, est interloqué en voyant
Frank s'effondrer sur la chaussée luisante, blessé à mort par la balle qui lui
était destinée. En effet, à droite du cadre, le coup de feu est parti de cette
voiture dans laquelle se trouvait Johnny. L'éclairage oblique des lumières du
train quittant la gare permet d'isoler la scène qui vient de se dérouler il y a
quelques secondes à peine: cherchant, dans un élan suicidaire et dans un ultime
geste moral et sacrificiel à expier sa faute originelle, Frank s'est brusquement
interposé entre Johnny et Joe au moment où le premier a tiré sur le second. Incarnant
jusqu'au bout une Némésis[1]
implacable, et ignorant tout, jusqu'à cet instant, du complot ourdi contre lui,
Joe sait que cette balle a scellé le destin de Frank. Acte de violence
est construit en miroir inversé par rapport à La Septième Croix (The
Seventh Cross), un autre film réalisé par Fred Zinnemann en 1944 racontant
l'évasion de sept déportés allemands d'un camp de concentration. Traqués par la
Gestapo, six d'entre eux sont repris mais le septième s'en sort pour rejoindre
un réseau de résistance. En 1944, au plus fort de la guerre, Zinnemann met en
scène un héros dépourvu d'ambiguïté pour dénoncer la barbarie nazie, alors qu'en
1948, la paix étant revenue, le réalisateur expose les traumatismes de deux ex-soldats
faillibles confrontés à leurs démons. Raconter une telle histoire, alors que
les États-Unis célébraient leur puissance économique et militaire, était un
pari osé.
mardi 22 juin 2021
La culpabilité et le sacrifice chez Fred Zinnemann
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