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Lentement, imperceptiblement, la narration de Once
Upon a Time … in Hollywood (Quentin
Tarantino, 2019) bascule, à ce moment précis, dans une angoisse sourde et
rampante, comme lorsque dans le premier chapitre d'Inglourious Basterds
(2009) la caméra de Tarantino avait fait un lent travelling vertical descendant
pour découvrir des juifs cachés dans une cave, alors qu'à l'étage un officier
SS, le colonel Hans Landa badinait tranquillement avec le propriétaire de la maison
rongé par la peur, Perrier Lapadite. Dans Once, Cliff Booth (Brad Pitt),
cascadeur de son état, en mal de contrats signés avec les producteurs hollywoodiens,
vient de prendre en stop Pussycat (Margaret Qualley), une jeune femme aussi
délurée que mystérieuse dont la destination n'est autre que le ranch Spahn, à
l'ouest de Los Angeles. L'action se passe en 1969 et l'heure est au Nouvel
Hollywood, à la contestation de la guerre du Vietnam et au mouvement hippie qui
atteint son point culminant au festival de Woodstock en août de la même année.
Le ranch Spahn[1]
(photogrammes 1 et 2) est, à cette date, un ancien site de tournage qui se
spécialisa pendant les années 50, principalement dans les westerns de série B et
les séries télévisées, mais pas seulement. Duel au soleil (Duel in
the Sun, King Vidor, 1946), ce western flamboyant et passionnel avec
Gregory Peck et Jennifer Jones y fut également réalisé. Le décor environnant,
très Old West, avec ses collines arides et rocailleuses, ses maisons en
bois bordées par un trottoir surélevé, sa rue principale recouverte de
poussière et de sable, témoigne de la splendeur de ce passé cinématographique
auquel a autrefois participé Cliff. Le camion portant l'inscription « Spahn's
movie ranch » est une autre relique qui a dû servir pour le transport
de matériel. Dans le photogramme 3, à
l'intérieur de la maison située dans le point de fuite du photogramme 1, deux
statuettes en bronze de Frederic Remington, peintre et sculpteur américain
(1861-1909) sont bien visibles dans la pièce: l'une, le Bronco Buster à
gauche du cadre, et l'autre, le Rattlesnake à gauche de la télévision,
attestent bien de la tradition westernienne de ce lieu où les cavalcades et les
fusillades d'antan ne résonnent plus. Mais c'est une autre présence qui hante
désormais ce ranch: entre 1968 et 1969, la sinistre « famille Manson » y a élu
domicile. Dans la maison principale de la propriété, cinq jeunes filles et un
homme se prélassent langoureusement devant leur poste de télévision, donnant l'impression d'un
groupe amolli par la chaleur étouffante intérieure (photogramme 3). Ce sont quelques-uns
des membres de la « famille », une secte fondée par Charles Manson, un illuminé
notoire se prenant pour Jésus-Christ et fondamentalement convaincu qu'une
guerre raciale entre les Blancs et les Noirs est sur le point d'éclater. Artiste
raté, ancien détenu, futur tueur en série, schizophrène et psychopathe confirmé, Manson a, entre
1967 et 1969, vampirisé, décervelé et manipulé une vingtaine de personnes,
essentiellement des jeunes femmes. L'ombre de sa présence plane sur ce ranch délabré, en
apparence endormi. La tension dans cette pièce est là, quasiment palpable,
parce que le spectateur superpose mentalement au même moment une réalité à
venir qu'il connaît. En effet, le contraste entre ces jeunes filles, tout juste
sorties de l'adolescence, et les crimes particulièrement atroces qu'elles vont
commettre quelques mois plus tard, donne à cette séquence une dimension
mortifère vertigineuse. Parmi elles, se trouvent Susan « Sadie » Atkins (Mikey
Madison) et Patricia « Katie » Krenwinkel (Madisen Beaty), deux des futures
meurtrières qui participeront le 9 août 1969 en compagnie de Charles « Tex »
Watson (Austin Butler) et sur l'ordre de Charles Manson cherchant à précipiter
le chaos attendu, à l'assassinat de la femme de Roman Polanski, Sharon Tate,
enceinte de huit mois et de trois de ses invités, dans la villa des Polanski de
Benedict Canyon, un quartier huppé de Los Angeles. « On n'en était plus au
stade de l'assassinat par « l'ennemi », comme Bonnie and Clyde, La Horde
sauvage, Butch Cassidy et le Kid et Easy Rider l'avaient fantasmé. Le scénario
était bien plus effrayant encore, c'étaient des hippies, des radicaux,
l'essence des années 60 qui étaient passés à l'acte »[2].
Pour relater ce massacre qui mit fin au mouvement peace and love,
en dépit du festival de Woodstock (15 août -19 août 1969), Quentin Tarantino
choisit de déplacer la tuerie dans une villa voisine comme pour essayer
d'exorciser la mort de Sharon Tate et mieux détruire la fascination qu'exerçait
Manson sur ses adeptes lobotomisés. Il fit de même dans Inglourious Basterds
en faisant mourir Hitler et Goebbels, exécutés dans un cinéma en flammes. La fiction et le cinéma plus forts que le
réel……
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