mercredi 2 juin 2021

L'extase et la colère chez Renny Harlin





« Plus réussi est le méchant, plus réussi sera le film »[1]. Cette citation d'Alfred Hitchcock, maintes fois reprise, irait comme un gant à Douglas « Dawg » Brown (Frank Langella). Dans L'Île aux pirates (Cutthroat Island, Renny Harlin, 1995), il est l'incarnation achevée du pirate sanguinaire et impitoyable mais néanmoins constamment magnétique et flamboyant. Très acrimonieux, voire bilieux, il est ce bretteur sans rival, démontrant à chaque abordage son aptitude à faire le vide autour de lui. Les poings serrés et les bras levés pour mieux posséder le monde et ses océans, le corps tendu à l'extrême et le visage déformé par l'exultation, « Dawg » est, au milieu des combats, la rage et la frénésie personnifiées. Héros physique et conceptuel, primitif et perspicace, ce pirate a le déchaînement carnassier, indifférent à la mort et aux autres Frères de la côte qui n'existent que pour lui permettre d'assouvir sa soif tonitruante de pouvoir. L'or qu'il recherche avec l'avidité qui le caractérise est d'abord un appel à être sur le devant de la scène, un stimulant pour mieux tracer un sillage de sang dans la mer des Antilles et une manière de s'opposer à la seule personne qui lui tient tête: sa nièce Morgan Adams (Geena Davis), une autre pirate que son oncle admire et dont le tempérament bondissant n'a rien à envier aux cascades d'autrefois d'Errol Flynn.  « Dawg » est la version sombre et inquiétante du capitaine Levasseur (Basil Rathbone dans Capitaine Blood) ou du capitaine Leech (George Sanders dans Le Cygne noir). N'hésitant pas à éliminer ses deux frères pour détenir toutes les parties d'une carte révélant l'emplacement du trésor, il se montre sans scrupules, bien décidé à faire chanter son sabre avec l'obstination d'un loup affamé. Échec commercial et critique aussi retentissant qu'incompréhensible – surtout juste avant l'énorme succès de la saga des Pirates des Caraïbes à partir de 2003 - L'Île aux pirates est pourtant une incontestable réussite, stimulant notre nostalgie et naviguant parmi des oeuvres qui ont fait les grandes heures de la Warner (Capitaine Blood/Captain Blood, 1935 et L'Aigle des mers/The Sea Hawk, 1940, tous deux de Michael Curtiz), de la Paramount (Les Flibustiers/The Buccaneer, Cecil B. DeMille, 1938) ou encore de la RKO (Pavillon noir/The Spanish Main, Frank Borzage, 1945). En 1995, il est toujours question d'hommes libres et insoumis, de ruffians sans foi ni loi, de chasse au trésor d'un galion espagnol caché au cœur d'une île perdue au milieu de l'océan, de décors exotiques, de traîtrise et d'abordages, de trognes patibulaires et d'amour, sans oublier les indispensables barils de rhum et le Jolly Roger[2] fixé au grand mât, claquant au vent. Si Frank Langella survécut au naufrage du film, Geena Davis, quant à elle, n'eut pas le même bonheur et ne rencontra plus de rôle digne de son talent.



[1] Hitchcock / Truffaut, édition définitive, Gallimard, 1993, p.159

[2] Le pavillon noir des pirates, orné d'une tête de mort surmontant deux tibias entrecroisés.




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