« Plus réussi est le méchant, plus réussi sera
le film »[1].
Cette citation d'Alfred Hitchcock, maintes fois reprise, irait comme un gant à Douglas
« Dawg » Brown (Frank Langella). Dans L'Île aux pirates (Cutthroat
Island, Renny Harlin, 1995), il est l'incarnation achevée du pirate
sanguinaire et impitoyable mais néanmoins constamment magnétique et flamboyant.
Très acrimonieux, voire bilieux, il est ce bretteur sans rival, démontrant à
chaque abordage son aptitude à faire le vide autour de lui. Les poings serrés
et les bras levés pour mieux posséder le monde et ses océans, le corps tendu à
l'extrême et le visage déformé par l'exultation, « Dawg » est, au milieu des
combats, la rage et la frénésie personnifiées. Héros physique et conceptuel, primitif
et perspicace, ce pirate a le déchaînement carnassier, indifférent à la mort et
aux autres Frères de la côte qui n'existent que pour lui permettre d'assouvir
sa soif tonitruante de pouvoir. L'or qu'il recherche avec l'avidité qui le
caractérise est d'abord un appel à être sur le devant de la scène, un stimulant
pour mieux tracer un sillage de sang dans la mer des Antilles et une manière de
s'opposer à la seule personne qui lui tient tête: sa nièce Morgan Adams (Geena
Davis), une autre pirate que son oncle admire et dont le tempérament bondissant
n'a rien à envier aux cascades d'autrefois d'Errol Flynn. « Dawg » est la version sombre et inquiétante
du capitaine Levasseur (Basil Rathbone dans Capitaine Blood) ou du
capitaine Leech (George Sanders dans Le Cygne noir). N'hésitant
pas à éliminer ses deux frères pour détenir toutes les parties d'une carte
révélant l'emplacement du trésor, il se montre sans scrupules, bien décidé à
faire chanter son sabre avec l'obstination d'un loup affamé. Échec commercial et critique aussi retentissant
qu'incompréhensible – surtout juste avant l'énorme succès de la saga des Pirates
des Caraïbes à partir de 2003 - L'Île aux pirates est pourtant une
incontestable réussite, stimulant notre nostalgie et naviguant parmi des
oeuvres qui ont fait les grandes heures de la Warner (Capitaine Blood/Captain
Blood, 1935 et L'Aigle des mers/The Sea Hawk, 1940,
tous deux de Michael Curtiz), de la Paramount (Les Flibustiers/The
Buccaneer, Cecil B. DeMille, 1938) ou encore de la RKO (Pavillon noir/The
Spanish Main, Frank Borzage, 1945). En 1995, il est toujours
question d'hommes libres et insoumis, de ruffians sans foi ni loi, de chasse au
trésor d'un galion espagnol caché au cœur d'une île perdue au milieu de
l'océan, de décors exotiques, de traîtrise et d'abordages, de trognes
patibulaires et d'amour, sans oublier les indispensables barils de rhum et le Jolly
Roger[2]
fixé au grand mât, claquant au vent. Si Frank Langella survécut au naufrage du
film, Geena Davis, quant à elle, n'eut pas le même bonheur et ne rencontra plus
de rôle digne de son talent.
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