Les Sorciers de la guerre (Wizards,
1977) de Ralph Bakshi est un film d’animation d’une rare puissance graphique.
Après une déflagration atomique, le monde est sous la menace d’un être mutant,
Blackwolf, qui rêve de prendre le pouvoir et d’asservir ceux qui ont survécu à
la guerre nucléaire. Pour motiver ses troupes, il découvre, vestiges de
l’ancien temps, un projecteur de cinéma et
des images d’archives datant de la Seconde Guerre mondiale. Démiurge aussi
charismatique qu’illuminé, le sorcier Blackwolf projette devant ses soldats des
discours d’un Hitler extatique et des scènes de guerre mettant en action les
armées du IIIe Reich. Dans ce monde où la technologie avait disparu, le
projecteur apparaît soudainement comme l’irruption d’une science oubliée dans
un monde retourné à l’âge de pierre, régi par les lois de la barbarie.
Saisissant instantanément la puissance de cet objet, Blackwolf en fait un
extraordinaire vecteur de propagande belliciste, destinée aux masses . Il a
compris également que le véritable pouvoir ne pouvait être que médiatique, et
que celui-ci devait être contrôlé. Cette mise en abyme, animée par Ralph Bakshi,
renvoie à tous les totalitarismes du XXe siècle. Lénine, Staline, Mussolini et
Hitler ont toujours associé le cinéma à leur politique. Des trains spéciaux
avec salles de projection circuleront dans les campagnes de Russie en 1918 pour
vanter les mérites de la Révolution, les studios de Cinecitta fondés en 1937 à
Rome permettront à Mussolini de glorifier le passé romain et le régime
fasciste. Et Goebbels financera, dès 1933, toute l’industrie du film allemand.
Blackwolf est tout autant le successeur de ces régimes, que celui qui, des
profondeurs de l’enfer, détient l’arme ultime : l’image, capable de
tétaniser, de décerveler et, au final, de manipuler des populations entières. Ces
images guerrières sont instrumentalisées par le nécromancien qui cherche à
infuser la haine de même qu’une foi militariste jusqu’au-boutiste dans le
cerveau de ceux qui l’écoutent. D’un air vindicatif et les yeux injectés de
sang, il harangue son armée de mutants, alors que celle-ci se prépare à son
entreprise de conquête et de mort. Dans le premier plan, son regard caméra hypnotique
et menaçant prend à partie le spectateur, puis le retournement du contrechamp à
180 degrés permet de voir ce que regarde Blackwolf : des oriflammes nazies,
claquant au vent, et rappelant l’orchestration des défilés ou des cérémonies
nationales-socialistes dans les villes et les stades allemands. La superposition d’images
réelles sur un dessin n’est certes pas utilisée pour la première fois dans un film
d’animation (les studios Disney avaient déjà réalisé en 1964, sur ce principe, Mary Poppins), mais le choix de Bakshi
d’opposer des personnages cartoonesques à des images d’archives renvoyant à la
peste brune crée une intertextualité aussi troublante qu’originale. Le choc
entre la fiction et le souvenir de la guerre réelle – et à travers elle de
toutes les guerres – matérialise une fable politique antidysneyenne dans laquelle,
science, technologie, barbarie, guerre, pouvoir et propagande sont
indissolublement liés.
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