mardi 22 novembre 2016

New-York chez Michael Curtiz


Dans La Femme aux chimères (Young Man with a Horn/1950) de Michael Curtiz, Kirk Douglas interprète Rick Martin, un trompettiste de jazz new-yorkais, totalement dédié à son art, écumant les bars sous les projecteurs d’une notoriété ascendante jusqu’à sa rencontre, fatale, avec Amy (Lauren Bacall) qui le fera basculer dans la déchéance. Michael Curtiz filme ici Rick, après sa rupture d’avec Amy. Désormais sans domicile fixe, il erre au petit matin, son bras gauche replié sur sa trompette, sans but précis. Les rues sont vides et le pavé suinte son humidité vers le caniveau bordé par deux poubelles. L’architecture verticale des immeubles, uniquement rompue, dans la profondeur de champ, par la ligne horizontale du métro aérien, écrase le musicien et accentue son isolement. Hongrois d’origine, Michael Curtiz a fui les pogroms organisés en 1920 par le régent de Hongrie, Miklos Horthy, pour aller se réfugier d’abord en Autriche puis en Allemagne de 1925 à 1926. C’est dans ce dernier pays qu’il subira de plein fouet l’influence du cinéma expressionniste jouant sur l’affrontement entre l’ombre et la lumière. Invité aux États-Unis dès 1926, il y restera et à l’instar de tous ceux – Fritz Lang ou Friedrich Wilhelm Murnau - qui fuient le nazisme naissant, il importera cet esthétisme issu de l’effondrement politique, militaire et moral allemand de 1918. Dans ce plan, Rick vient de sortir de la lumière de l’aube naissante. Cette lumière est derrière lui, curieusement orientée du bas vers le haut, comme si un immense projecteur avait décidé de l’abandonner pour mieux se concentrer sur une façade d’immeuble ornementée par ces escaliers muraux si caractéristiques de l’architecture new-yorkaise. Perdu dans la ville, il s’engouffre dans l’ombre enveloppante de ce dédale de rues qui forment le Lower East Side au sud de Manhattan, entre l’East Village et le Lower Manhattan. Rick a abandonné le pont de Brooklyn quelques instants plus tôt alors qu’il déambulait tel un somnambule sans repères. L’itinéraire en chute libre du trompettiste et son incapacité à surmonter son drame sentimental, libèrent des démons autodestructeurs et suicidaires qui le jettent sur le pavé new-yorkais. Inspirés librement de la vie de Bix Beiderbecke et Chet Baker, deux trompettistes qui ont marqué l’histoire du jazz, les errements de Rick, entre chien et loup, donnent à The Big Apple des airs fantomatiques qui contrastent avec le bouillonnement traditionnel de la cité, même aux premières heures d’une aube blafarde.


Jo  (Doris Day), Rick (Kirk Douglas) et Amy (Lauren Baccal)



Aucun commentaire:

Publier un commentaire