jeudi 17 novembre 2016

La mouette chez Alfred Hitchcock


Dans Les Oiseaux (The Birds, Alfred Hitchcock1963), des nuées de volatiles menacent subitement, sans raison apparente, Bodega Bay, une petite ville sur la côte californienne. Vu en plongée, le port apparaît de manière extrêmement distincte : des bateaux sont à quai, des voitures sont stationnées sur une grande place et les maisons bordent les axes routiers qui viennent buter sur la côte. Cet espace anthropique vient d’être contaminé par une peur indicible. En effet, l’attaque des mouettes est en train de submerger la ville et de créer le chaos. Le garage est en feu, une coulée d’essence enflammée s’en échappe et vient de faire exploser, d’un souffle puissant, des voitures: ce sont là les premières manifestations du danger et de l’angoisse qui brisent la tranquille monotonie du quotidien des habitants. La séquence, filmée du point de vue des oiseaux, relève d’une technique, le matte painting, un procédé cinématographique qui consiste à peindre un décor sur une surface plane (le port) en y laissant des espaces vides dans lesquels une ou plusieurs scènes filmées (le garage incendié et les mouettes) sont incorporées. Le point de vue est saisissant : les mouettes surplombent le port, prêtes à lancer une nouvelle attaque sur les hommes qui ne sont plus que des points affolés, impuissants et sans défense. La force du scénario est de faire de ces oiseaux inoffensifs, des vertébrés ailés tueurs. Alfred Hitchcock avait dit à François Truffaut, « Je n’aurais pas fait le film s’il s’était agi de vautours ou d’oiseaux de proie » (1). Les mouettes volent très haut, intouchables, se regroupent pour mieux observer la panique qu’elles ont déclenchée, puis se jettent à nouveau sur leurs proies. La terreur naît alors de la normalité - des oiseaux ayant un habitat à proximité des côtes – et d’un ordre naturel perturbé. Le concept freudien de l’inquiétante étrangeté, cette peur née d’une rupture dans la rationalité rassurante de la vie quotidienne, prend alors tout son sens. Messagers de l’Apocalypse, les oiseaux semblent vouloir punir les hommes, ces prédateurs universels, de leur arrogance à vouloir dominer la nature. La bande-son, orchestrée pour une fois sans instruments de musique par le musicien fétiche d’Alfred Hitchcock, Bernard Herrmann, n’est composée que de cris d’oiseaux et de battements d’ailes passés à travers un synthétiseur. Le résultat, strident et cacophonique, accentue encore l’angoisse de la scène puisque les volatiles envahissent tout l’espace visuel et sonore en isolant le spectateur du drame qui est en train de se jouer en contrebas. La fin du monde annoncée est alors suspendue quelques instants dans les airs.


(1) Hitchcock /Truffaut, édition définitive, Gallimard, 1993, p.243


Aucun commentaire:

Publier un commentaire