Dans Les
Oiseaux (The Birds, Alfred Hitchcock, 1963), des nuées de volatiles menacent subitement, sans raison apparente, Bodega
Bay, une petite ville sur la côte californienne. Vu en plongée, le port
apparaît de manière extrêmement distincte : des bateaux sont à quai, des
voitures sont stationnées sur une grande place et les maisons bordent les axes
routiers qui viennent buter sur la côte. Cet espace
anthropique vient d’être contaminé par une peur indicible. En effet, l’attaque
des mouettes est en train de submerger la ville et de créer le chaos. Le garage
est en feu, une coulée d’essence enflammée s’en échappe et vient de faire
exploser, d’un souffle puissant, des voitures: ce sont là les premières manifestations
du danger et de l’angoisse qui brisent la tranquille monotonie du quotidien des
habitants. La séquence, filmée du point de vue des oiseaux, relève d’une
technique, le matte painting, un
procédé cinématographique qui consiste à peindre un décor sur une surface plane
(le port) en y laissant des espaces vides dans lesquels une ou plusieurs scènes
filmées (le garage incendié et les mouettes) sont incorporées. Le point de vue
est saisissant : les mouettes surplombent le port, prêtes à lancer une
nouvelle attaque sur les hommes qui ne sont plus que des points affolés, impuissants
et sans défense. La force du scénario est de faire de ces oiseaux inoffensifs,
des vertébrés ailés tueurs. Alfred Hitchcock avait dit à François Truffaut, « Je n’aurais pas fait le film s’il s’était
agi de vautours ou d’oiseaux de proie » (1). Les mouettes volent très haut,
intouchables, se regroupent pour mieux observer la panique qu’elles ont
déclenchée, puis se jettent à nouveau sur leurs proies. La terreur naît alors
de la normalité - des oiseaux ayant un habitat à proximité des côtes – et d’un
ordre naturel perturbé. Le concept freudien de l’inquiétante étrangeté, cette
peur née d’une rupture dans la rationalité rassurante de la vie quotidienne,
prend alors tout son sens. Messagers de l’Apocalypse, les oiseaux semblent
vouloir punir les hommes, ces prédateurs universels, de leur arrogance à
vouloir dominer la nature. La bande-son, orchestrée pour une fois sans
instruments de musique par le musicien fétiche d’Alfred Hitchcock, Bernard
Herrmann, n’est composée que de cris d’oiseaux et de battements d’ailes passés
à travers un synthétiseur. Le résultat, strident et cacophonique, accentue
encore l’angoisse de la scène puisque les volatiles envahissent tout l’espace
visuel et sonore en isolant le spectateur du drame qui est en train de se jouer
en contrebas. La fin du monde annoncée est alors suspendue quelques instants
dans les airs.
(1) Hitchcock /Truffaut, édition définitive,
Gallimard, 1993, p.243
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