Mais quelle mouche a piqué le trio Verbinski/Bruckheimer/Disney
? Gore Verbinski associé aux deux maisons de production a déjà à son actif les
trois Pirates des Caraïbes, des
blockbusters plus ou moins formatés, et Jerry Bruckheimer est connu pour avoir
produit des films comme Top Gun Tony
Scott/1985), ou Armageddon (Michael
Bay/1998), des films très conservateurs, pour ne pas dire très droitiers,
vantant les mérites de la bannière étoilée et sauvant le monde de toutes les
menaces. The Lone Ranger (2013) est,
contre toute attente, un film intégralement subversif et par conséquent
totalement réjouissant. Le scénario dénonce la collusion entre des industriels
véreux et corrompus et l’armée américaine, sur fond de spoliation des terres
indiennes et de massacre des tribus qui y vivent. Dire en 2013 que la conquête
de l’Ouest s’est faite sur le dos des Indiens n’est pas une nouveauté :
Anthony Mann dans La Porte du diable
(Devil’s Doorway/1950), Ralph Nelson
dans Soldat bleu (Soldier blue/1970), Arthur Penn dans Little Big Man (1970), Kevin Costner
dans Danse avec les loups (Dances with Wolves /1991) ou encore
Walter Hill dans Geronimo (1993) avaient
déjà cloué le cercueil de la bonne conscience des colons et de l’armée convaincus,
au nom de la Destinée manifeste, que les Indiens n’étaient qu’un obstacle à
éliminer pour installer la civilisation et le progrès. Mais le redire en 2013
aux États-Unis, en proie au doute et à la peur du déclin (faillite de la ville
de Détroit, crise économique, inégalités sociales vertigineuses sur fond de
libéralisme triomphant) est autre chose. Le capitaine Jay Fuller (Barry Pepper,
déjanté à souhait) est au service de Latham Cole (Tom Wilkinson), l’un des actionnaires
d’une compagnie ferroviaire, aussi avide que corrompu, cherchant à relier la
côte atlantique à la côte pacifique. Le train doit traverser les terres
comanches et il faut pour cela exproprier la tribu, au besoin en la massacrant.
Le capitaine ressemble étrangement au général George Armstrong Custer de
sinistre mémoire, et surtout à l’interprétation parodique qu’a fait de ce
dernier Richard Mulligan dans Little Big
Man. Cheveux longs blonds, impeccablement sanglé dans son uniforme de cavalerie,
sabre et pistolet aux poings gantés de blanc, le capitaine Jay Fuller éructe
ses ordres dans une hystérie qui frise la folie. « Au nom de Dieu et de la patrie » hurle-t-il, extatique, tout en
commandant à sa troupe d’ouvrir le feu sur les cavaliers comanches qui lancent
leur attaque à ce moment-là.
Ces derniers sont déjà des ombres chevauchant
désespérément dans la lumière sépulcrale qui baigne cette terre bientôt rougie
de leur sang. La guerre que livre le capitaine repose sur les mensonges proférés
par Latham Cole qui s’est approprié une mine d’argent découverte plusieurs
années auparavant sur le territoire de la tribu, et qui cherche maintenant à
transporter ce minerai vers San Francisco. La référence à l’invasion de l’Irak
en 2003 est explicite. La puissance de feu des soldats est telle que les
Indiens sont massacrés jusqu’au dernier. L’armée est donc le bras armé des
intérêts privés qui ne reculent devant aucun obstacle, ni aucun scrupule pour
parvenir à leurs fins : piller les ressources naturelles d’un territoire
pour assurer la domination politique et économique d’un seul homme. Mais c’est
aussi une charge violente vis-à-vis de ce capitalisme boursouflé qui ne profite
qu’à une minorité cherchant à accaparer toutes les richesses. En dépit des
résonances en phase avec Occupy Wall
Street, cette lecture renouvelée de la lutte des classes adaptée à la
conquête de l’Ouest explique probablement l’échec colossal du film au pays de
l’Oncle Sam.
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