mercredi 9 novembre 2016

La subversion chez Gore Verbinski


Mais quelle mouche a piqué le trio Verbinski/Bruckheimer/Disney ? Gore Verbinski associé aux deux maisons de production a déjà à son actif les trois Pirates des Caraïbes, des blockbusters plus ou moins formatés, et Jerry Bruckheimer est connu pour avoir produit des films comme Top Gun Tony Scott/1985), ou Armageddon (Michael Bay/1998), des films très conservateurs, pour ne pas dire très droitiers, vantant les mérites de la bannière étoilée et sauvant le monde de toutes les menaces. The Lone Ranger (2013) est, contre toute attente, un film intégralement subversif et par conséquent totalement réjouissant. Le scénario dénonce la collusion entre des industriels véreux et corrompus et l’armée américaine, sur fond de spoliation des terres indiennes et de massacre des tribus qui y vivent. Dire en 2013 que la conquête de l’Ouest s’est faite sur le dos des Indiens n’est pas une nouveauté : Anthony Mann dans La Porte du diable (Devil’s Doorway/1950), Ralph Nelson dans Soldat bleu (Soldier blue/1970), Arthur Penn dans Little Big Man (1970), Kevin Costner dans Danse avec les loups (Dances with Wolves /1991) ou encore Walter Hill dans Geronimo (1993) avaient déjà cloué le cercueil de la bonne conscience des colons et de l’armée convaincus, au nom de la Destinée manifeste, que les Indiens n’étaient qu’un obstacle à éliminer pour installer la civilisation et le progrès. Mais le redire en 2013 aux États-Unis, en proie au doute et à la peur du déclin (faillite de la ville de Détroit, crise économique, inégalités sociales vertigineuses sur fond de libéralisme triomphant) est autre chose. Le capitaine Jay Fuller (Barry Pepper, déjanté à souhait) est au service de Latham Cole (Tom Wilkinson), l’un des actionnaires d’une compagnie ferroviaire, aussi avide que corrompu, cherchant à relier la côte atlantique à la côte pacifique. Le train doit traverser les terres comanches et il faut pour cela exproprier la tribu, au besoin en la massacrant. Le capitaine ressemble étrangement au général George Armstrong Custer de sinistre mémoire, et surtout à l’interprétation parodique qu’a fait de ce dernier Richard Mulligan dans Little Big Man. Cheveux longs blonds, impeccablement sanglé dans son uniforme de cavalerie, sabre et pistolet aux poings gantés de blanc, le capitaine Jay Fuller éructe ses ordres dans une hystérie qui frise la folie. « Au nom de Dieu et de la patrie » hurle-t-il, extatique, tout en commandant à sa troupe d’ouvrir le feu sur les cavaliers comanches qui lancent leur attaque à ce moment-là. 


Ces derniers sont déjà des ombres chevauchant désespérément dans la lumière sépulcrale qui baigne cette terre bientôt rougie de leur sang. La guerre que livre le capitaine repose sur les mensonges proférés par Latham Cole qui s’est approprié une mine d’argent découverte plusieurs années auparavant sur le territoire de la tribu, et qui cherche maintenant à transporter ce minerai vers San Francisco. La référence à l’invasion de l’Irak en 2003 est explicite. La puissance de feu des soldats est telle que les Indiens sont massacrés jusqu’au dernier. L’armée est donc le bras armé des intérêts privés qui ne reculent devant aucun obstacle, ni aucun scrupule pour parvenir à leurs fins : piller les ressources naturelles d’un territoire pour assurer la domination politique et économique d’un seul homme. Mais c’est aussi une charge violente vis-à-vis de ce capitalisme boursouflé qui ne profite qu’à une minorité cherchant à accaparer toutes les richesses. En dépit des résonances en phase avec Occupy Wall Street, cette lecture renouvelée de la lutte des classes adaptée à la conquête de l’Ouest explique probablement l’échec colossal du film au pays de l’Oncle Sam.


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