mercredi 2 novembre 2016

Le rire chez Rouben Mamoulian


Le Docteur Jekyll (Frederic March) est un bon bougre légèrement porté sur la transgression. Persuadé que l’Homme est doté de deux personnalités antagonistes, il met au point un breuvage issu d’une formule, pour séparer dans un même corps, le bien du mal. Dans cette sublime version du Docteur Jekyll et Mister Hyde de Rouben Mamoulian (1932), ledit praticien tente l’expérience sur lui-même et se métamorphose en un anthropoïde particulièrement inquiétant. Mr Hyde apparaît brutalement dans le champ, face à un miroir, pour constater la réussite et le bien-fondé de sa théorie. Le médecin affable et respectable est devenu le mal incarné. Démarche simiesque, augmentation de la partie occipitale du crâne, système pileux particulièrement fourni, rangée de dents du maxillaire supérieur impressionnante, tout le corps de Mr Hyde renvoie à l’Australopithèque qui sommeillait dans le subconscient du Dr Jekyll et qui se matérialise désormais dans ce laboratoire, à l’insu de tous. Tout à sa contemplation triomphante, il exulte d’une rage éruptive et primitive, actionnant ses zygomatiques pour partir d’un éclat de rire sinistre. S’esclaffer de cette manière aussi tonitruante n’est pas anodin; les autorités médicales et religieuses de la bonne société londonienne lui avaient déconseillé de poursuivre ses recherches et son futur beau-père, le général Carew (Halliwell Hobbes) lui refuse pour l’instant la main de sa fille, Muriel (Rose Hobart). C’est donc un Dr Jekyll frustré qui a expérimenté sur lui-même sa potion. Son double va donc lui permettre d’assouvir enfin toutes ses pulsions réprimées par le puritanisme de la société victorienne dans laquelle il évolue. « Libre ! » rugit-il à deux reprises. Libre désormais de s’encanailler dans les bas-fonds de Londres, de fréquenter des prostituées, de faire régner la terreur et de basculer dans le meurtre. Le miroir dans lequel Mr Hyde s’admire est plus que le vecteur de son narcissisme; il est l’expression de la vérité que le Dr Jekyll lance à la face du monde : sa recherche d’absolu ne peut s’enraciner que dans ses instincts primitifs. Le cinéma américain est rempli de ces personnages qui défient les lois de la Création : les Docteurs Frankenstein (Frankenstein/1931), Moreau (L’Île du Docteur Moreau/1932) et Jekyll ou, plus près de nous, Seth Brundle (La Mouche/1986) sont autant de Prométhée qui ont commis le blasphème suprême, celui de se prendre pour Dieu en manipulant l’âme et le corps humain. Entre 1908 et 2006, pas moins de dix-huit metteurs en scène se sont appropriés ce personnage sorti tout droit de l’imagination de Robert-Louis Stevenson (1), mais outre celle de Rouben Mamoulian, seules deux autres versions ont marqué l’imaginaire des cinéphiles : celle, éponyme, de Victor Fleming (1941) et Mary Reilly de Stephen Frears (1996).


(1) L’Étrange cas du Docteur Jekyll et Mister Hyde de Robert-Louis Stevenson, Folio classique, 2003.


Mister Hyde (Frederic March)



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