mardi 1 novembre 2016

La haine et la jalousie chez Nicholas Ray



Mercedes McCambridge  interprète dans Johnny Guitare (Nicholas Ray/1954), Emma Small, une riche propriétaire terrienne comme le western en compte peu. Dévorée par la jalousie et dépitée de voir Dancing Kid (Scott Brady), celui qu’elle aime, lui préférer Vienna (Joan Crawford), Emma cherche par tous les moyens à assouvir sa vengeance. À la tête d’une horde sauvage, toute de noir vêtue, elle entre dans le saloon de Vienna pour l’arrêter et lui appliquer la loi de Lynch. Alors que le posse vient de quitter le saloon pour accomplir son forfait, Emma s’empare d’un fusil et tire sur le chandelier suspendu au plafond. Celui-ci s’effondre et met instantanément le feu au bâtiment. Extatique, les bras en croix, sa silhouette noire est éclairée par les flammes du brasier qui transforment la salle en antichambre de l’enfer. Son ombre se profile dans l’encadrement de la fenêtre derrière elle. Elle jouit, pendant quelques secondes, de ce spectacle mortifère, pour ne rien rater de la destruction de cet espace voué aux jeux et à la boisson. Emma vient de franchir le Styx pour exprimer, dans une attitude statufiée, sa haine maladive et psychotique de cette femme, Vienna, qui est devenue l’objet de tous les désirs de celui qu’elle aime secrètement. Cet amour contrarié la pousse à toutes les extrémités et à toutes les violences. Une symphonie de couleurs rougeoyantes enveloppe son corps revêtu d’une longue robe qui s’apparente déjà à un linceul noir. Dans l’esprit de Philip Yordan, le scénariste du film, Emma personnifie le maccarthysme triomphant à ce moment-là  aux États-Unis. Cette figure luciférienne, au bord de la folie, est l’incarnation de l’intolérance qui ravage les rangs de tous ceux qui, à Hollywood, se réclament d’un progressisme politique et social. 


Puis, sortant à reculons, Emma pivote brusquement, présentant à la caméra son visage de profil. Cheveux courts, yeux étincelants, lèvres fines, large sourire sardonique, la sinistre apparence de son visage annonce le lynchage de Vienna. Tendue comme la corde d’un arc, elle n’est plus qu’une Furie exprimant, dans un accès de rage intense, toute sa frustration et sa jalousie.  Dans ce plan rapproché et cadrée au centre de l’image, Emma laisse exploser sa joie névrotique alors que le saloon se consume derrière elle. Son pouvoir sur les hommes et sur la femme qui l’entourent n’est que l’écho de sa démence exacerbée. Dévorée par un feu intérieur qui libère tous ses démons, Emma est devenue ce bloc figé dans la haine, une figure fascisante participant à la déconstruction du monde de Vienna, cette autre femme, libre, indomptée et émancipée de la tutelle masculine. Il est évident que ce western, dans lequel deux femmes s’affrontent jusqu’à la mort, est un diamant brut brillant, aujourd’hui encore, de mille feux.





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