Mercedes McCambridge interprète dans Johnny Guitare (Nicholas Ray/1954), Emma Small, une riche
propriétaire terrienne comme le western en compte peu. Dévorée par la jalousie
et dépitée de voir Dancing Kid (Scott Brady), celui qu’elle aime, lui préférer
Vienna (Joan Crawford), Emma cherche par tous les moyens à assouvir sa
vengeance. À la tête d’une horde sauvage, toute de noir vêtue, elle entre dans
le saloon de Vienna pour l’arrêter et lui appliquer la loi de Lynch. Alors que
le posse vient de quitter le saloon
pour accomplir son forfait, Emma s’empare d’un fusil et tire sur le chandelier
suspendu au plafond. Celui-ci s’effondre et met instantanément le feu au
bâtiment. Extatique, les bras en croix, sa silhouette noire est éclairée par
les flammes du brasier qui transforment la salle en antichambre de l’enfer. Son
ombre se profile dans l’encadrement de la fenêtre derrière elle. Elle jouit,
pendant quelques secondes, de ce spectacle mortifère, pour ne rien rater de la
destruction de cet espace voué aux jeux et à la boisson. Emma vient de franchir
le Styx pour exprimer, dans une attitude statufiée, sa haine maladive et
psychotique de cette femme, Vienna, qui est devenue l’objet de tous les désirs
de celui qu’elle aime secrètement. Cet amour contrarié la pousse à toutes les
extrémités et à toutes les violences. Une symphonie de couleurs rougeoyantes
enveloppe son corps revêtu d’une longue robe qui s’apparente déjà à un linceul
noir. Dans l’esprit de Philip Yordan, le scénariste du film, Emma personnifie
le maccarthysme triomphant à ce moment-là aux États-Unis. Cette figure luciférienne, au
bord de la folie, est l’incarnation de l’intolérance qui ravage les rangs de
tous ceux qui, à Hollywood, se réclament d’un progressisme politique et social.
Puis, sortant à reculons, Emma pivote brusquement, présentant à la caméra
son visage de profil. Cheveux courts, yeux étincelants, lèvres fines, large
sourire sardonique, la sinistre apparence de son visage annonce le lynchage de
Vienna. Tendue comme la corde d’un arc, elle n’est plus qu’une Furie exprimant,
dans un accès de rage intense, toute sa frustration et sa jalousie. Dans ce plan rapproché et cadrée au centre de
l’image, Emma laisse exploser sa joie névrotique alors que le saloon se consume
derrière elle. Son pouvoir sur les hommes et sur la femme qui l’entourent n’est
que l’écho de sa démence exacerbée. Dévorée par un feu intérieur qui libère
tous ses démons, Emma est devenue ce bloc figé dans la haine, une figure
fascisante participant à la déconstruction du monde de Vienna, cette autre
femme, libre, indomptée et émancipée de la tutelle masculine. Il est évident que
ce western, dans lequel deux femmes s’affrontent jusqu’à la mort, est un
diamant brut brillant, aujourd’hui encore, de mille feux.
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