mercredi 19 octobre 2016

Le végétal chez Terrence Malick


La Ligne rouge (1998)


Le Nouveau Monde (2005)

Terrence Malick filme la nature de manière exceptionnelle et parvient à capter l’essence des liens qui associent les hommes à la terre. Dans La Ligne rouge (The Thin Red Line/1998) et dans Le Nouveau monde (The New World/2005), il célèbre une nature tour à tour enveloppante, hostile, protectrice et finalement plus grande que les hommes qui la traversent. Que ce soient les soldats américains à la conquête de l’île de Guadalcanal dans le Pacifique en 1942, ou les explorateurs britanniques découvrant les côtes de l’actuelle Virginie en 1607, le couvert végétal est d’abord pour ces hommes un espace exubérant dans lequel les herbes folles dansent autour d’eux. Dans La Ligne rouge, le soldat courbé, avançant avec précaution pour repérer les tireurs japonais embusqués, s’immerge dans cette végétation qui ploie et ondoie sous le vent. Les rayons du soleil balaient, au gré des trouées nuageuses, les pentes de cette colline qu’il faut à tout prix contrôler. Le cinéma de Terrence Malick évoque systématiquement un rapport spirituel et mystique entre des individus et la terre qu’ils foulent de leurs pieds. La recherche d’un paradis terrestre est au cœur de l’œuvre du cinéaste. Le ciel, forcément immense, le soleil, la faune, la flore et le vert du tapis végétal apaisant sont en parfaite harmonie avec des hommes encore innocents. Filmée le plus souvent en plans larges propices à situer l'environnement, et enrobée de séduction silencieuse, l’avancée des soldats est d’abord un prétexte à de longs monologues introspectifs et existentialistes, en voix off, sur la guerre, la vie, la mort, la création ou la conscience.  Mais, au fur et à mesure de l’escalade de cette colline, une tension s’établit entre les soldats et leur environnement; le danger va sourdre au milieu de cette végétation exubérante. La hauteur de ces herbes n’est plus alors qu’un mince rempart illusoire face à la puissance de feu que va déclencher l’armée japonaise, pour plonger ce paradis fantasmé en enfer. La même interrogation parcourt Le Nouveau Monde, avec encore plus d’acuité, puisqu’il s’agit de ce moment charnière que représente la première rencontre entre les Britanniques et la tribu des Powhatan, ce moment où tout est encore possible entre hostilité et coexistence pacifique. Les contraires peuvent encore s’harmoniser entre un puritanisme matérialiste conquérant et un polythéisme incarné par les esprits des forces naturelles comme l’eau, le feu ou les animaux. Le fantassin, tout d’acier vêtu et armé d’une hallebarde, regarde d’autres herbes aussi hautes que lui et la ligne d’horizon sylvestre qui barre la profondeur de champ. Voici l’espace des guerriers powhatan, un sanctuaire naturel, fusionnel, à partir duquel ils observent avec circonspection et méfiance les nouveaux venus. L’arme offensive brandie au-dessus du soldat dit la même suspicion face à cette végétation sauvage et non domestiquée qu’il pressent comme menaçante. À l’instar de La Ligne rouge, qu’il soit Japonais ou Amérindien, l’Autre est pour le moment invisible. Mais la souillure de cet Eden qui retient sa respiration est en marche. Les Européens, mus par leur rapacité et leur désir de vaincre, vont rapidement imposer leur ordre barbare et faire plier toute la tribu. Terrence Malick, au-delà de l’union passagère entre John Smith et Pocahontas, filme un autre paradis perdu et surtout l’échec du momentum qui aurait pu changer, de part et d’autre, la vision de deux mondes, l’Ancien et le Nouveau.











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