[1] Nom donné en arabe à l'Irak
[2]
Chris Kyle sera assassiné en 2013 dans un stand de tir par un ancien marine
souffrant de stress post-traumatique qu'il encadrait.
[1] Nom donné en arabe à l'Irak
[2]
Chris Kyle sera assassiné en 2013 dans un stand de tir par un ancien marine
souffrant de stress post-traumatique qu'il encadrait.
[1] En 1462, Elisabeta se suicide en apprenant, à la suite d'une fausse nouvelle, la mort de son époux parti combattre les Turcs. Dévasté par cette perte, Dracula abjure l'Église chrétienne et jure de se venger en buvant le sang qui coule d'un crucifix transpercé par son épée.
Dans Dark Waters (Todd Haynes, 2019), Robert
Bilott (Mark Ruffalo) est un avocat spécialisé dans la défense des entreprises
chimiques au sein d'un cabinet d'affaires de Cincinnati (Ohio). Lorsqu'il
apprend qu'un de ses clients, DuPont de Nemours, déverse en toute connaissance
de cause des produits chimiques mortels dans les rivières et les lacs de la
région de Parkersburg en Virginie-Occidentale où se trouve son usine locale, il
décide de mener une enquête qui le mènera, jusqu'au vertige, à risquer son avenir professionnel, sa famille et sa santé pour mettre
au jour la vérité et défendre toute une communauté ravagée par des cancers ou des
malformations congénitales, dont la liste s'allonge au fur et à mesure de ses investigations.
Le neuvième film de Todd Haynes est une nouvelle version de la lutte du pot de
terre contre le pot de fer, ou de celle de David contre Goliath que le cinéma
américain adore particulièrement mettre en scène. Alors que rien ne le
prédisposait à devenir un lanceur d'alerte, Robert Bilott rejoint cette longue
liste qui, de l'adjointe juridique Erin Brockovich (Julia Roberts dans Erin
Brockovich, seule contre tous/ Erin Brokovich, Steven
Soderbergh, 2000) au journaliste Michael Rezendes (Mark Ruffalo déjà dans Spotlight,
Tom McCarthy, 2015) en passant par le consultant scientifique Jeffrey Wigand (
Russell Crowe dans Révélations/The Insider, Michael Mann, 1990), met en valeur des héros ordinaires déterminés
à faire émerger des eaux sombres les turpitudes criminelles des
puissants, et à placer très haut la défense de l'éthique et de la justice. Souvent
seuls, mais toujours volontaires et pugnaces, contre vents et marées, ils
portent un fardeau qui manque à l'occasion de les écraser mais qui, au final,
va donner un tout autre sens à leur vie. Vertige avons-nous dit un peu plus
haut ? Sur le photogramme en effet, la caméra est positionnée à 90 degrés par
rapport à son axe vertical pour mieux souligner le malaise psychologique qui habite
Robert, alors qu'il se dirige d'un pas lourd vers son bureau. Mais pas
seulement: avec un angle normal, cette géométrie aurait dû évoquer la stabilité
et l'équilibre, mais ici, l'image traduit aussi pour Robert sa remise en cause
de l'ordre établi, sa volonté de renverser les règles et la marche du monde,
tout au moins celle conçue par DuPont de Nemours. Peu soutenu par son patron,
insulté par le dirigeant de l'entreprise chimique, ostracisé par une partie de
la communauté de Parkersburg plus préoccupée par la question des emplois nemouriens
que par les enjeux de santé publique et déchiré par l'incompréhension et le
scepticisme de son épouse – tout au moins au début – Robert, à peine remis
d'une attaque ischémique transitoire[1], est néanmoins écrasé
par la plongée de la caméra, écrasé par la disproportion entre sa petite taille
et les énormes masses de béton qui font mine de le broyer. Cette architecture
froide, ce carcan pesant nous font ressentir l'oppression d'un univers qui
s'exerce sur un homme refusant de lâcher prise face aux dissimulations et aux
mensonges. Todd Haynes et son directeur de la photographie Edward Lachman
choisissent une grammaire chromatique particulière, en utilisant une couleur vert-jaune pour les intérieurs afin de mieux
transmettre les symptômes visuels d'une maladie rongeant les corps et les
esprits. Cette angoisse existentielle pèse de tout son poids sur l'avocat, mais
moins que l'exigence morale qu'il s'impose pour mener à terme sa bataille
juridique et rendre justice – au bout de vingt ans de lutte - aux victimes de
la rapacité industrielle. Si le pot de terre peut triompher - un temps
seulement – du pot de fer, Todd Haynes n'est pas dupe pour autant de la
puissance et de l'incommensurable volonté de ce capitalisme sauvage, prêt à
toutes les ignominies pour faire triompher ses intérêts financiers.
3
Encadrant un groupe de jeunes enfants en
excursion sur un bateau, et quelques minutes avant le largage des amarres, trois
femmes mariées reçoivent une lettre d'une amie commune, Addie Ross, leur annonçant
avoir quitté la ville avec l'époux – sans le nommer - de l'une d'entre elles. Une
fois à bord, dans l'incapacité de réaliser la trahison de l'un des trois
conjoints, Rita Phibbs (Ann Sothern) Lora Mae Hollingsway (Linda Darnell) et Deborah
Bishop (Jeanne Crain, de gauche à droite du photogramme), appuyées sur le
bastingage du navire, les regards préoccupés et pleins d'appréhension, arborent
ostensiblement cette réserve qui participe autant de la retenue que de l'inquiétude.
Bien qu'issues de milieux différents – Deborah et Lorae Mae viennent d'un
milieu social défavorisé - ces trois femmes sont parvenues, grâce à leur mariage
et son travail pour Rita, à faire leur place dans la société aisée d'une petite
ville des États-Unis dont nous ne saurons pas le nom. Leur tenue vestimentaire,
révélatrice du raffinement qu'elles cherchent à afficher, illustre bien cette
réussite matérielle caractéristique de la prospérité américaine de
l'après-guerre: les manteaux avec cols à revers, fort probablement de marque, les
gants blancs – Lora Mae les tient dans ses mains - et les foulards - pour Lora
Mae et Deborah – soulignent l'opulence du milieu social auquel elles
appartiennent. Elles participent, depuis des années, à ce tourbillon social
composé de réceptions, de soirées mondaines et de clubs de loisirs dont le mode
de vie ostentatoire repose tout autant sur la richesse que sur la vanité. Mais
la lettre que tient Rita met cette réussite à rude épreuve, en ceci qu'elle est
autant l'annonce d'un échec amoureux que la matérialisation d'une anxiété
sociale, particulièrement pour Lorae Mae et Deborah qui souffrent du syndrome
de l'imposteur, anxiété que le regard des autres - si important pour elles - ne
ferait qu'accentuer. En interpellant chacune d'entre elles sur la durabilité de
leur couple, la lettre ne fait que cristalliser l'insécurité sentimentale que
partagent les trois épouses. Dans Chaînes conjugales (A Letter to
Three Wives, Joseph L. Mankiewicz, 1949), le contraste entre l'affectation
et la réalité met à nu la fragilité des apparences. Perdues dans leurs pensées
subitement mélancoliques, et en réalisant ce que cette réussite matérielle a de
fragile et d'illusoire, elles ont déjà entamé une introspection de leur
sanctuaire intime, de leur vie conjugale et des fractures amoureuses éventuelles,
inavouées ou balayées d'un revers de la main, qui auraient pu conduire un de
leurs maris – dont chacun a dans le passé admis son attirance pour Addie Ross -
à être infidèle. Chacune veut encore croire que les forces d'attraction de son couple
restent supérieures aux désaccords et aux différences de caractères. En cherchant la vérité des êtres et du réel, Mankiewicz
se moque, à travers cette satire sociale, de l'aliénation des classes
supérieures au matérialisme et à la respectabilité. Mais incontestablement,
cette exploration d'elles-mêmes permet à ces trois figures féminines sur
lesquelles Mankiewicz porte toute son affection de révéler sinon leurs
aspirations, du moins leur fragilité et leur questionnement sur la notion de
bonheur. La filmographie du réalisateur a souvent donné aux femmes le premier
rôle: de L'Aventure de Mme Muir (The Ghost and Mrs. Muir, 1947) à
Cléopâtre (Cleopatra, 1963) en passant par Ève (All
About Eve, 1950) ou La Comtesse aux pieds nus (The Barefoot
Contessa, 1954), ce sont toujours les hommes qui sont en retrait.
Le
cinémascope n'a jamais aussi bien servi le propos de William Wyler que dans Les
Grands espaces (The Big Country, 1958), dans lequel la démesure géographique
de l'Ouest sauvage et son immobilité écrasante renvoient et réduisent constamment
les querelles humaines au rang de l'insignifiance, de la vacuité. Deux hommes ont
accepté de se battre à poings nus. L'enjeu porte sur une femme, mais surtout
sur deux conceptions radicalement opposées de la dignité et de l'honneur
personnel. D'un côté, Jim McKay (Gregory Peck), un ancien capitaine de marine du
Maine venu dans l'Ouest pour épouser la fille du major Henry Terrill (Charles
Bickford), un riche propriétaire terrien régnant sur un immense empire foncier,
de l'autre, Steve Leech (Charlton Heston), le contremaître du ranch Terrill, fils
de substitution du major et secrètement amoureux de la même femme. Le premier, gentleman
et pacifiste, n'a rien à prouver sauf à lui-même, et refuse d'agir selon les
normes de comportement attendues dans cet Ouest où tout doit se régler par la
violence. Le deuxième, fougueux et ombrageux, questionne continuellement la
virilité de Jim en cherchant à provoquer une confrontation, seul moyen légitime
selon lui pour survivre dans ces contrées sauvages. Alors que les premières
lueurs du jour blanchissent la ligne d'horizon en direction de l'est, au-delà
de la chaîne de montagnes et juste à la frange du monde, le clair de lune
baigne encore d'une lumière froide et bleutée les ondulations de cette
vastitude herbeuse sans autre point d'appui ou volume pour l'œil que ces deux
points minuscules que Wyler filme de loin et en plans larges (voir le photogramme). Sans témoins
alentour et dans un silence complet – y compris de la bande-son - les deux
hommes se livrent à une pantomime virile, un affrontement à la loyale, qui
apparaît, dans ce décor qui s'ouvre sur l'éternité, dérisoire. Dans le western,
cette séquence nocturne est profondément originale, non pas en raison de la
nature du règlement de comptes, tellement intégré dans la liturgie du genre,
mais dans le traitement de l'image. Traditionnellement, les protagonistes
finissent toujours par estomper le paysage, mais ici, c'est l'inverse, comme si
cette splendeur naturelle ne pouvait s'accommoder de la présence humaine. La
terre semble absorber et avaler les deux hommes. Cette géographie du vide
dramatise non seulement leur isolement, mais illustre surtout la disproportion
entre l'immuabilité de l'espace et la finitude de l'homme inconscient de sa
propre mortalité. Ce duel est d'autant plus absurde qu'il n'aboutira à rien
puisqu'aucun n'en sortira vainqueur. À la fin de leur combat, trop épuisés pour
se lever, leurs visages meurtris, Jim demande à Steve: « et maintenant,
qu'avons-nous prouvé »? Contre toute attente, le premier va gagner le
respect du second, un respect qui finira par affaiblir son allégeance pour Henry
Terrill. Dans Les Grands espaces Wyler démystifie les codes du vieil
Ouest en montrant l'inutilité et l'irrationalité de la violence, même si Jim « doit
se battre avec acharnement pour que ses manières d'homme civilisé prévalent sur
la sauvagerie de son pays d'élection[1]».
[1]
Les subversifs hollywoodiens.
L'esprit critique du cinéma grand public de Jean-Philippe Costes, Liber 2015, p.374