Dans Dark Waters (Todd Haynes, 2019), Robert
Bilott (Mark Ruffalo) est un avocat spécialisé dans la défense des entreprises
chimiques au sein d'un cabinet d'affaires de Cincinnati (Ohio). Lorsqu'il
apprend qu'un de ses clients, DuPont de Nemours, déverse en toute connaissance
de cause des produits chimiques mortels dans les rivières et les lacs de la
région de Parkersburg en Virginie-Occidentale où se trouve son usine locale, il
décide de mener une enquête qui le mènera, jusqu'au vertige, à risquer son avenir professionnel, sa famille et sa santé pour mettre
au jour la vérité et défendre toute une communauté ravagée par des cancers ou des
malformations congénitales, dont la liste s'allonge au fur et à mesure de ses investigations.
Le neuvième film de Todd Haynes est une nouvelle version de la lutte du pot de
terre contre le pot de fer, ou de celle de David contre Goliath que le cinéma
américain adore particulièrement mettre en scène. Alors que rien ne le
prédisposait à devenir un lanceur d'alerte, Robert Bilott rejoint cette longue
liste qui, de l'adjointe juridique Erin Brockovich (Julia Roberts dans Erin
Brockovich, seule contre tous/ Erin Brokovich, Steven
Soderbergh, 2000) au journaliste Michael Rezendes (Mark Ruffalo déjà dans Spotlight,
Tom McCarthy, 2015) en passant par le consultant scientifique Jeffrey Wigand (
Russell Crowe dans Révélations/The Insider, Michael Mann, 1990), met en valeur des héros ordinaires déterminés
à faire émerger des eaux sombres les turpitudes criminelles des
puissants, et à placer très haut la défense de l'éthique et de la justice. Souvent
seuls, mais toujours volontaires et pugnaces, contre vents et marées, ils
portent un fardeau qui manque à l'occasion de les écraser mais qui, au final,
va donner un tout autre sens à leur vie. Vertige avons-nous dit un peu plus
haut ? Sur le photogramme en effet, la caméra est positionnée à 90 degrés par
rapport à son axe vertical pour mieux souligner le malaise psychologique qui habite
Robert, alors qu'il se dirige d'un pas lourd vers son bureau. Mais pas
seulement: avec un angle normal, cette géométrie aurait dû évoquer la stabilité
et l'équilibre, mais ici, l'image traduit aussi pour Robert sa remise en cause
de l'ordre établi, sa volonté de renverser les règles et la marche du monde,
tout au moins celle conçue par DuPont de Nemours. Peu soutenu par son patron,
insulté par le dirigeant de l'entreprise chimique, ostracisé par une partie de
la communauté de Parkersburg plus préoccupée par la question des emplois nemouriens
que par les enjeux de santé publique et déchiré par l'incompréhension et le
scepticisme de son épouse – tout au moins au début – Robert, à peine remis
d'une attaque ischémique transitoire[1], est néanmoins écrasé
par la plongée de la caméra, écrasé par la disproportion entre sa petite taille
et les énormes masses de béton qui font mine de le broyer. Cette architecture
froide, ce carcan pesant nous font ressentir l'oppression d'un univers qui
s'exerce sur un homme refusant de lâcher prise face aux dissimulations et aux
mensonges. Todd Haynes et son directeur de la photographie Edward Lachman
choisissent une grammaire chromatique particulière, en utilisant une couleur vert-jaune pour les intérieurs afin de mieux
transmettre les symptômes visuels d'une maladie rongeant les corps et les
esprits. Cette angoisse existentielle pèse de tout son poids sur l'avocat, mais
moins que l'exigence morale qu'il s'impose pour mener à terme sa bataille
juridique et rendre justice – au bout de vingt ans de lutte - aux victimes de
la rapacité industrielle. Si le pot de terre peut triompher - un temps
seulement – du pot de fer, Todd Haynes n'est pas dupe pour autant de la
puissance et de l'incommensurable volonté de ce capitalisme sauvage, prêt à
toutes les ignominies pour faire triompher ses intérêts financiers.
lundi 18 avril 2022
Le fardeau chez Todd Haynes
S'abonner à :
Publier des commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Publier un commentaire