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1975, Parkersburg, Virginie-Occidentale. La séquence
d'ouverture de Dark Waters (Todd Haynes, 2019) renvoie, comme un écho, à
celle des Dents de la mer (Jaws, Steven Spielberg, 1975). Tard
dans la nuit, un groupe d'adolescents échauffés par l'alcool enlèvent leurs
vêtements pour se baigner dans un lac en lisière d'une forêt (photogramme 1). Ils
viennent de franchir par effraction la clôture grillagée d'une propriété
apparemment abandonnée. L'heure est à la détente et à l'insouciance juvénile. Les
éclats de voix et les rires résonnent de manière démultipliée dans cette pénombre
environnante qui oblitère le regard et vulnérabilise ceux qui la traversent. Lorsqu'ils
plongent, une caméra sous-marine immergée dans une semi-opacité aquatique
accompagne, comme un prédateur, leurs ébats (photogramme 2). Dans ces eaux
sombres d'un gris-bleu huileux, c'est le silence, à peine troublé par le
gargouillis des tourbillons provoqués en surface par les corps des nageurs. À
ce moment, la caméra subjective utilisée par Todd Haynes enclenche, comme le
veulent les codes et la tradition du film d'horreur, un sentiment d'inquiétude
et de malaise. Le seul élément manquant ici est l'ostinato inquiétant à deux
notes de John Williams[1].
Todd Haynes joue manifestement avec ce que savent les spectateurs de cette mise
en scène multirécidiviste destinée à cacher l'information et à suggérer une
menace latente. Puis la caméra refait surface en filmant à fleur d'eau le
badinage en cours qui participe du même élan ludique que celui qui a motivé
cette escapade nocturne. Les baigneurs battent des mains pour se propulser de
quelques mètres, agitent les jambes de manière désordonnée avec force
éclaboussures, rient de plus belle en s'apostrophant les uns les autres
(photogramme 3). L'orée du film se déroule en 1975, l'année même où fut réalisé
celui de Steven Spielberg. Seul le monstre change. Ici, il n'y a pas de requin ou
d'autres créatures sous-marines tapies au fond de l'eau et sur le point
d'attaquer ces nageurs inconscients, mais une horreur bien plus dangereuse
composée de produits chimiques jetés dans l'eau par DuPont de Nemours, le grand
groupe industrialo-chimique américain dont une usine est localisée non loin de
là. À la fin de la séquence, le cadre dévoile ces substances que l'on imagine hautement
toxiques tapissant la surface de l'eau en de larges lambeaux blanchâtres et
écumeux, comme une couche nauséabonde, grasse et luisante (photogramme 4). C'est
le premier signe du film à venir, visible, la première manifestation explicite d'une
monstruosité silencieuse et sournoise empoisonnant tout un écosystème. Dark
Waters est une plongée en apnée dans les eaux troubles du monde de
la chimie, un monde sans foi ni loi dont les dirigeants dominés par une
inextinguible cupidité, les yeux rivés sur leurs bénéfices mirobolants, sont des
requins autrement plus dangereux que le squale d'Amity.
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