dimanche 20 février 2022

La contre-plongée chez Alfred Hitchcock



Lorsque le détective privé Milton Arbogast (Martin Balsam) pointe un nom inscrit sur le registre du motel tenu par Norman Bates (Anthony Perkins), celui-ci, gagné par une nervosité grandissante, se déplace dans un mouvement semi-circulaire qu'accompagne la caméra, pour se pencher sur le livre. L'originalité de cette scène, qui dure 17 secondes sans cut, tient à l'angle de prise de vue, une contre-plongée verticale insolite – utilisée à plusieurs reprises dans le film, et particulièrement sous le pommeau de douche dans la séquence qui a fait sa renommée - choisie par Alfred Hitchcock montrant une fois de plus sa maîtrise inventive de la mise en scène. La gorge et le menton de Norman envahissent une grande partie du cadre. Sa mâchoire est agitée par des mouvements réguliers de mastication, comme autant de tics nerveux, en raison des bonbons de maïs qu'il vient de mettre en bouche quelques instants plus tôt. Comme nous savons que le point de vue est la relation établie entre celui qui regarde et l'objet de sa vision, nous ne pouvons qu'être intrigués par cette position de la caméra. Que veut nous montrer Hitchcock ?  Son intention manifeste est d'orienter le regard du spectateur pour épier Norman par en-dessous, et faire affleurer les tourments qui consument le personnage au-delà de son air faussement tranquille et détendu. Alors que le profil gauche de son visage et sa gorge apparaissent dans un halo de lumière, la zone d'ombre rectangulaire située sous son menton suggère que quelque chose est dissimulé ou gardé dans l'obscurité comme pour mieux signifier le trouble de la personnalité qui caractérise Norman. Cette contre-plongée traduit en termes visuels l'aura de mystère et d'inquiétude sourde qui s'empare de la séquence au fur et à mesure que Norman est poussé dans ses derniers retranchements. Celui-ci se sait scruté, sondé par Arbogast qui ne cesse de l'interroger, de l'importuner avec des questions de plus en plus en plus inquisitrices pour amener Norman à reconnaître que la route de Marion Crane (Janet Leigh) a croisé la sienne. Et comme pour mieux accompagner son anxiété, l'angle de prise de vue et ce corps en déséquilibre nous étouffent, nous écrasent et nous ramènent immanquablement au meurtre, particulièrement sanglant, commis dans la salle de bain de la chambre jouxtant le bureau de Norman. En se concentrant sur la mâchoire, la gorge et sa jugulaire saillante, la mise en scène hitchcockienne nous dit enfin que Norman est exposé et vulnérable, puisqu'Arbogast vient de voir que Marion a signé le registre du motel Bates. À ce moment de l'intrigue, la discussion entre le détective privé et Norman a tout du basculement dramatique puisque le premier sent bien instinctivement que le second, pris dans un écheveau de contradictions, lui ment. En lui demandant s'il a passé la nuit avec Marion, Arbogast, ignorant la dangerosité de Norman, vient sans le savoir de se rapprocher du point de rupture d'un psychopathe. Puis, en cherchant à rencontrer cette mystérieuse Mrs Bates, il ne sait pas encore qu'il vient de signer son arrêt de mort. Quel que soit l'angle d'analyse, Psychose (Psycho, 1960) continue de rendre captif le spectateur dans une fascinante exploration des tréfonds de l'âme humaine.




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