Lorsque le détective privé Milton Arbogast (Martin
Balsam) pointe un nom inscrit sur le registre du motel tenu par Norman Bates
(Anthony Perkins), celui-ci, gagné par une nervosité grandissante, se déplace dans
un mouvement semi-circulaire qu'accompagne la caméra, pour se pencher sur le
livre. L'originalité de cette scène, qui dure 17 secondes sans cut, tient
à l'angle de prise de vue, une contre-plongée verticale insolite – utilisée à
plusieurs reprises dans le film, et particulièrement sous le pommeau de douche
dans la séquence qui a fait sa renommée - choisie par Alfred Hitchcock montrant
une fois de plus sa maîtrise inventive de la mise en scène. La gorge et le menton
de Norman envahissent une grande partie du cadre. Sa mâchoire est agitée par
des mouvements réguliers de mastication, comme autant de tics nerveux, en
raison des bonbons de maïs qu'il vient de mettre en bouche quelques instants
plus tôt. Comme nous savons que le point de vue est la relation établie entre
celui qui regarde et l'objet de sa vision, nous ne pouvons qu'être intrigués
par cette position de la caméra. Que veut nous montrer Hitchcock ? Son intention manifeste est d'orienter le
regard du spectateur pour épier Norman par en-dessous, et faire
affleurer les tourments qui consument le personnage au-delà de son air
faussement tranquille et détendu. Alors que le profil gauche de son visage et
sa gorge apparaissent dans un halo de lumière, la zone d'ombre rectangulaire
située sous son menton suggère que quelque chose est dissimulé ou gardé dans
l'obscurité comme pour mieux signifier le trouble de la personnalité qui
caractérise Norman. Cette contre-plongée traduit en termes visuels l'aura de
mystère et d'inquiétude sourde qui s'empare de la séquence au fur et à mesure
que Norman est poussé dans ses derniers retranchements. Celui-ci se sait
scruté, sondé par Arbogast qui ne cesse de l'interroger, de l'importuner avec
des questions de plus en plus en plus inquisitrices pour amener Norman à
reconnaître que la route de Marion Crane (Janet Leigh) a croisé la sienne. Et
comme pour mieux accompagner son anxiété, l'angle de prise de vue et ce corps
en déséquilibre nous étouffent, nous écrasent et nous ramènent immanquablement
au meurtre, particulièrement sanglant, commis dans la salle de bain de la chambre
jouxtant le bureau de Norman. En se concentrant sur la mâchoire, la gorge et sa
jugulaire saillante, la mise en scène hitchcockienne nous dit enfin que Norman
est exposé et vulnérable, puisqu'Arbogast vient de voir que Marion a signé le
registre du motel Bates. À ce moment de l'intrigue, la discussion entre le
détective privé et Norman a tout du basculement dramatique puisque le premier
sent bien instinctivement que le second, pris dans un écheveau de
contradictions, lui ment. En lui demandant s'il a passé la nuit avec Marion, Arbogast,
ignorant la dangerosité de Norman, vient sans le savoir de se rapprocher du
point de rupture d'un psychopathe. Puis, en cherchant à rencontrer cette
mystérieuse Mrs Bates, il ne sait pas encore qu'il vient de signer son arrêt de
mort. Quel que soit l'angle d'analyse, Psychose (Psycho, 1960)
continue de rendre captif le spectateur dans une fascinante exploration des
tréfonds de l'âme humaine.
dimanche 20 février 2022
La contre-plongée chez Alfred Hitchcock
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