vendredi 18 février 2022

Le lyrisme chez Pierre Granier-Deferre

 


Après Le Chat (1971) et La Veuve Couderc (1972) et avant L'Étoile du Nord (1982), Pierre Granier-Deferre adapte, avec Pascal Jardin au scénario[1], un autre roman de Georges Simenon, Le Train (1973). Pendant l'hiver 1943, Julien Maroyeur (Jean-Louis Trintignant) est convoqué dans les bureaux de la police du régime de Vichy. Un commissaire lui montre une fausse carte d'identité au nom de sa femme, mais avec une photo d'Anna Küpfer (Romy Schneider), une juive allemande que Julien avait rencontrée, 3 ans plus tôt, au cours de l'exode qui avait jeté sur les routes et dans les trains des millions de Français fuyant l'avancée allemande et avec laquelle il avait noué une relation amoureuse aussi intense qu'éphémère. Les deux amants s'étaient perdus de vue jusqu'à ce moment où, arrêtée, Anna est confrontée à Julien. L'inverse est tout aussi vrai, puisque la police cherche à démasquer toutes les relations supposées d'Anna, entrée en résistance depuis 1940.  Cherchant pendant quelques instants à sauver sa vie, Julien feint d'ignorer Anna, mais alors qu'il s'apprête à sortir du bureau, il se retourne brusquement, se dirige vers elle, et refusant d'abdiquer devant la menace, tend lentement sa main vers ce visage qui s'est relevé, pour caresser la joue d'Anna avec une tendresse bouleversante (photogramme 1). La passion, si longtemps contenue, éclate à nouveau au grand jour entre ces deux êtres que les hasards de la guerre ont rapprochés puis éloignés. Les deux regards se confondent, le temps, la guerre et le monde entier ne comptent plus, le présent et le passé se conjuguent à nouveau dans cette certitude amoureuse inébranlable que seuls ceux qui s'appartiennent peuvent avoir. À mesure que Julien dévisage Anna, et sans qu'un mot ne soit prononcé, les yeux de celle-ci lui renvoient une intensité qui peut s'apparenter à une supplique, mais qui n'est rien d'autre que le reflet d'un voile tendu en train de se déchirer. Dans cette France occupée et trahie par la collaboration, les deux amants, bien que victimes de la brutalité de leur époque, choisissent de laisser libre cours à leurs sentiments tout en sachant que le piège vient de se refermer sur eux. En dépit de la vie tranquille qu'il mène auprès de sa famille, Julien n'hésite pas à tout sacrifier et particulièrement à se sacrifier, à s'immoler avec Anna dans un élan harmonisant envolée lyrique et ton élégiaque. À cet instant, la mise en scène épurée de Pierre Granier-Deferre et le jeu tout en retenue de Jean-Louis Trintignant face à celui de Romy Schneider dont le visage s'abîme dans une souffrance indicible (photogramme 2) contribuent à rendre la scène tragique mais incandescente. La caméra cerne au plus près ces deux êtres qui disent leur humanité et leur amour, loin de la satisfaction goguenarde et médiocre du commissaire gestapiste (Paul Le Person), ravi d'avoir piégé ces deux suspects. Même si Le Train reste avant tout concentré sur la rencontre de deux êtres, il n'en reste pas moins qu'il fait partie de ces films procureurs des années 70, dénonçant les lâchetés et les compromissions de certains Français pendant l'Occupation – comme La veuve Couderc pour les années 30 -. La transmission de la mémoire de ces années noires, longtemps corsetée entre 1945 et la fin des années 60, trouve après le départ du général de Gaulle en 1969 et sa mort en 1970, un nouveau terreau propice à une relecture d'un passé peu glorieux et très éloigné de la figure héroïque du résistant de La Bataille du rail (René Clément, 1946): L'Armée des ombres (Jean-Pierre Melville, 1969) deux documentaires, Le Chagrin et la Pitié (Marcel Ophuls (1969) et Français, si vous saviez (André Harris et Alain de Sedouy, 1973) puis Lacombe Lucien (Louis Malle (1974), Section spéciale  (Costa-Gavras,1975) ou encore Monsieur Klein (Joseph Losey, 1976) vont témoigner de ce retour du refoulé.



[1] Déjà crédité pour Le Chat et La Veuve Couderc




Aucun commentaire:

Publier un commentaire