Après Le Chat (1971) et La Veuve Couderc
(1972) et avant L'Étoile du Nord (1982), Pierre Granier-Deferre adapte,
avec Pascal Jardin au scénario[1],
un autre roman de Georges Simenon, Le Train (1973). Pendant l'hiver
1943, Julien Maroyeur (Jean-Louis Trintignant) est convoqué dans les bureaux de
la police du régime de Vichy. Un commissaire lui montre une fausse carte
d'identité au nom de sa femme, mais avec une photo d'Anna Küpfer (Romy
Schneider), une juive allemande que Julien avait rencontrée, 3 ans plus tôt, au
cours de l'exode qui avait jeté sur les routes et dans les trains des millions
de Français fuyant l'avancée allemande et avec laquelle il avait noué une
relation amoureuse aussi intense qu'éphémère. Les deux amants s'étaient perdus
de vue jusqu'à ce moment où, arrêtée, Anna est confrontée à Julien. L'inverse
est tout aussi vrai, puisque la police cherche à démasquer toutes les relations
supposées d'Anna, entrée en résistance depuis 1940. Cherchant pendant quelques instants à sauver
sa vie, Julien feint d'ignorer Anna, mais alors qu'il s'apprête à sortir du
bureau, il se retourne brusquement, se dirige vers elle, et refusant d'abdiquer
devant la menace, tend lentement sa main vers ce visage qui s'est relevé, pour
caresser la joue d'Anna avec une tendresse bouleversante (photogramme 1). La
passion, si longtemps contenue, éclate à nouveau au grand jour entre ces deux
êtres que les hasards de la guerre ont rapprochés puis éloignés. Les deux
regards se confondent, le temps, la guerre et le monde entier ne comptent plus,
le présent et le passé se conjuguent à nouveau dans cette certitude amoureuse inébranlable
que seuls ceux qui s'appartiennent peuvent avoir. À mesure que Julien dévisage
Anna, et sans qu'un mot ne soit prononcé, les yeux de celle-ci lui renvoient
une intensité qui peut s'apparenter à une supplique, mais qui n'est rien
d'autre que le reflet d'un voile tendu en train de se déchirer. Dans cette
France occupée et trahie par la collaboration, les deux amants, bien que
victimes de la brutalité de leur époque, choisissent de laisser libre cours à
leurs sentiments tout en sachant que le piège vient de se refermer sur eux. En
dépit de la vie tranquille qu'il mène auprès de sa famille, Julien n'hésite pas
à tout sacrifier et particulièrement à se sacrifier, à s'immoler avec Anna dans
un élan harmonisant envolée lyrique et ton élégiaque. À cet instant, la mise en
scène épurée de Pierre Granier-Deferre et le jeu tout en retenue de Jean-Louis
Trintignant face à celui de Romy Schneider dont le visage s'abîme dans une souffrance
indicible (photogramme 2) contribuent à rendre la scène tragique mais
incandescente. La caméra cerne au plus près ces deux êtres qui disent leur
humanité et leur amour, loin de la satisfaction goguenarde et médiocre du
commissaire gestapiste (Paul Le Person), ravi d'avoir piégé ces deux suspects. Même
si Le Train reste avant tout concentré sur la rencontre de deux êtres,
il n'en reste pas moins qu'il fait partie de ces films procureurs des
années 70, dénonçant les lâchetés et les compromissions de certains Français
pendant l'Occupation – comme La veuve Couderc pour les années 30 -. La
transmission de la mémoire de ces années noires, longtemps corsetée entre 1945
et la fin des années 60, trouve après le départ du général de Gaulle en 1969 et
sa mort en 1970, un nouveau terreau propice à une relecture d'un passé peu
glorieux et très éloigné de la figure héroïque du résistant de La Bataille
du rail (René Clément, 1946): L'Armée des ombres (Jean-Pierre
Melville, 1969) deux documentaires, Le Chagrin et la Pitié (Marcel
Ophuls (1969) et Français, si vous saviez (André Harris et Alain de
Sedouy, 1973) puis Lacombe Lucien (Louis Malle (1974), Section
spéciale (Costa-Gavras,1975) ou
encore Monsieur Klein (Joseph Losey, 1976) vont témoigner de ce retour
du refoulé.
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