dimanche 27 février 2022

De l'imbécilité chez les frères Coen



Les frères Coen sont des orfèvres dans la description de personnages ahuris, de ballots se faisant rouler dans la farine, de béotiens bornés, de nocifs au melon vertigineux, ou encore de benêts inconscients, pris au cœur de situations inextricables qu'ils ont, avec cette forme aggravée d'imbécilité qui confine au sublime, le plus souvent provoquées. Du duo de kidnappeurs arriérés (Fargo, 1996) au gang de bras cassés s'imaginant en nouveaux Arsène Lupin (Ladykillers, 2004) en passant par le trio d'évadés abrutis (O'Brother, 2000), ces personnages sont le plus souvent ramollis du bulbe avec, sans exagération, une dizaine de neurones se battant dans chacun de leurs cerveaux. De là à penser que l'imbécilité est l'essence même du genre humain, il n'y a qu'un pas que les frères Coen franchissent avec une allégresse contagieuse.  Dans Burn After Reading (Joel et Ethan Coen, 2008), Chad Feldheimer (Brad Pitt), n'échappe pas à cette pathologie contagieuse, pour être probablement le gommeux le plus niais, le plus écervelé, mais aussi le plus réussi de la cinématographie de la fratrie. Employé d'un centre de remise en forme, il tombe par hasard sur un cd contenant les mémoires d'un ex-agent de la CIA. Devant son ordinateur, sous les yeux de son patron Ted Treffon (Richard Jenkins) et de sa collègue Linda Litzke (Frances McDormand), il pense qu'il tient là des renseignements ultra-confidentiels, et s'imagine déjà en barbouze prêt à les monnayer à qui de droit, y compris à l'ambassade russe. Bien campé devant son ordinateur, Chad ne doute de rien et affiche cette autosatisfaction béate chevillée au corps qui le caractérise (voir le photogramme). Il a tout de l'hurluberlu satisfait, un brin narcissique, convaincu de la puissance de sa réflexion. Avec son uniforme rouge et sa chevelure au balayage ambré, tétant constamment une bouteille d'un liquide que l'on imagine très sucré ou mastiquant avec force conviction un chewing-gum, Chad a l'air niais de celui qui pense être plus malin que les autres. Il traverse le film de manière hyperbolique, littéralement monté sur ressort, moulinant ses bras, chantant avec ses écouteurs sur les oreilles, s'entraînant constamment, même en-dehors de son travail, ou roulant en vélo dans les rues de Washington. Cette sottise certifiée sous toutes les coutures est-elle réversible dans le cinéma des frères Coen ? Force est de reconnaître que non. En fait, aucune rédemption n'est possible pour ces personnages, et Chad n'échappe pas à cette logique puisqu'il n'aura pas le loisir d'aller jusqu'au bout de sa nigauderie. « Dans le canevas coenien (…), ces antihéros passent pour des gens ordinaires, habillés de façon ordinaire, ayant des vies ordinaires, un physique ordinaire… mais ils sont confrontés à des situations peu ordinaires. Du mythe de l'homme ordinaire vertueux de Capra, ils n'ont conservé que l'apparence »[1]. Du nihilisme de No Country For Old Men tourné l'année précédente, à l'humour noir et désespérant de Burn After Reading, le point de vue des frères Coen sur la nature humaine est profondément pessimiste.



[1] L'Amérique des frères Coen de Julie Assouly, CNRS Éditions, 2012, p.155




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