Les frères Coen sont des orfèvres dans la description
de personnages ahuris, de ballots se faisant rouler dans la farine, de béotiens
bornés, de nocifs au melon vertigineux, ou encore de benêts inconscients, pris
au cœur de situations inextricables qu'ils ont, avec cette forme aggravée
d'imbécilité qui confine au sublime, le plus souvent provoquées. Du duo de
kidnappeurs arriérés (Fargo, 1996) au gang de bras cassés s'imaginant en
nouveaux Arsène Lupin (Ladykillers, 2004) en passant par le trio
d'évadés abrutis (O'Brother, 2000), ces personnages sont le plus souvent
ramollis du bulbe avec, sans exagération, une dizaine de neurones se battant dans
chacun de leurs cerveaux. De là à penser que l'imbécilité est l'essence même du
genre humain, il n'y a qu'un pas que les frères Coen franchissent avec une
allégresse contagieuse. Dans Burn
After Reading (Joel et Ethan Coen, 2008), Chad Feldheimer (Brad Pitt),
n'échappe pas à cette pathologie contagieuse, pour être probablement le gommeux
le plus niais, le plus écervelé, mais aussi le plus réussi de la
cinématographie de la fratrie. Employé d'un centre de remise en forme, il tombe
par hasard sur un cd contenant les mémoires d'un ex-agent de la CIA. Devant son
ordinateur, sous les yeux de son patron Ted Treffon (Richard Jenkins) et de sa collègue
Linda Litzke (Frances McDormand), il pense qu'il tient là des renseignements
ultra-confidentiels, et s'imagine déjà en barbouze prêt à les monnayer à qui de
droit, y compris à l'ambassade russe. Bien campé devant son ordinateur, Chad ne
doute de rien et affiche cette autosatisfaction béate chevillée au corps qui le
caractérise (voir le photogramme). Il a tout de l'hurluberlu satisfait, un brin
narcissique, convaincu de la puissance de sa réflexion. Avec son uniforme rouge
et sa chevelure au balayage ambré, tétant constamment une bouteille d'un
liquide que l'on imagine très sucré ou mastiquant avec force conviction un
chewing-gum, Chad a l'air niais de celui qui pense être plus malin que les
autres. Il traverse le film de manière hyperbolique, littéralement monté sur
ressort, moulinant ses bras, chantant avec ses écouteurs sur les oreilles,
s'entraînant constamment, même en-dehors de son travail, ou roulant en vélo
dans les rues de Washington. Cette sottise certifiée sous toutes les coutures
est-elle réversible dans le cinéma des frères Coen ? Force est de reconnaître
que non. En fait, aucune rédemption n'est possible pour ces personnages, et
Chad n'échappe pas à cette logique puisqu'il n'aura pas le loisir d'aller
jusqu'au bout de sa nigauderie. « Dans le canevas coenien (…), ces antihéros
passent pour des gens ordinaires, habillés de façon ordinaire, ayant des vies
ordinaires, un physique ordinaire… mais ils sont confrontés à des situations
peu ordinaires. Du mythe de l'homme ordinaire vertueux de Capra, ils n'ont
conservé que l'apparence »[1].
Du nihilisme de No Country For Old Men tourné l'année précédente, à
l'humour noir et désespérant de Burn After Reading, le point de
vue des frères Coen sur la nature humaine est profondément pessimiste.
dimanche 27 février 2022
De l'imbécilité chez les frères Coen
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