Pierre Granier-Deferre est un cinéaste remarquable.
La Veuve Couderc (1971), Le Train (1973) et Une Étrange
affaire (1981) figurent sans l'ombre d'un doute au panthéon du cinéma
français. Observant ses contemporains avec l'acuité d'un entomologiste, ses
préoccupations et sa vision du monde sous antidépresseurs se devaient de
croiser le pessimisme et le fatalisme de l'œuvre de Georges Simenon dont La
Veuve Couderc et Le Train sont issus. Avec Pascal Jardin au
scénario, La Veuve Couderc ne pouvait être que ce miracle d'équilibre
dans lequel la fuite et la marginalité côtoient avec la même puissance la solitude
et la tragédie. Pendant l'été 1934, dans une campagne en apparence tranquille,
les jours, les heures, les minutes s'égrènent lentement, comme si au-dehors,
les soubresauts du 6 février 1934[1],
la montée des ligues d'extrême-droite, l'antisémitisme croissant et les
scandales Stavisky[2]
et Prince[3]
n'avaient aucune prise sur les habitudes et le quotidien d'un petit village endormi
de France. Ce qui dérange les habitants n'est pas que la France soit de plus en
plus gangrenée par le climat délétère des années 30, mais qu'un inconnu, Jean
(Alain Delon), ait été recueilli au bord de la route par Tatie, la veuve
Couderc (Simone Signoret), et rapidement engagé pour la seconder dans les
travaux de la ferme. La solitude de Jean et de Tatie, le premier, jeune mais
sans avenir parce qu'évadé de prison, et la seconde plus âgée mais avec un
passé et un présent qu'elle ne parvient pas à transcender, explique une
mutuelle compréhension puis un rapprochement que les habitants du village
n'accepteront pas. L'intrusion de Jean dans cet univers figé, replié sur
lui-même, va enclencher les jalousies et les rancoeurs des uns, les haines
recuites et les convoitises des autres pour aboutir à la tragédie finale.
Dénoncé par la belle-famille de la veuve Couderc, Jean est, au petit matin,
pris au piège dans la ferme encerclée par la police et des cavaliers de la
garde républicaine mobile. Manifestement influencé par la mise à mort très
stylisée de Bonnie et Clyde (Bonnie and Clyde, Arthur Penn, 1967) et des
hors-la-loi de la Horde sauvage (The Wild Bunch, Sam Peckinpah, 1969),
Pierre Granier-Deferre utilise le ralenti pour décrire la chute d'un corps
criblé de balles. Jean surgit d'une porte, acquiert de la vitesse, traverse éperdument
la petite cour qui jouxte l'arrière de la ferme et bondit par-dessus le muret
pour tenter d'échapper aux tirs nourris de la police que sa sortie désespérée a
immédiatement et sans sommation déclenchés (photogramme 1). Touché en plein
élan par des dizaines d'impacts, son corps se désarticule sous l'effet du choc,
reste quelques secondes suspendu en l'air (photogrammes 2 et 3), puis
s'effondre en tournoyant sur lui-même pour s'immobiliser, après un dernier
spasme d'agonie, au milieu d'un potager (photogramme 4). Sous le couvert des arbres en fleurs, quand
soudain tout explose, la mort se dilate, semble durer une éternité, organise
une chorégraphie tragique qui trouve sa résolution dans cette ultime fuite. À
l'instar du final de Butch Cassidy et le Kid (Butch Cassidy and the Sundance Kid,
George Roy Hill, 1969), la sortie de Jean s'apparente à un baroud d'honneur moins
pour sauver sa vie, qu'il sait à ce moment perdue, que pour préserver Tatie. Si
la veulerie, la médiocrité et la cruauté des hommes tiennent beaucoup de
Simenon, l'arrière-plan politique - absent du roman - évoqué par touches impressionnistes illustre
surtout les souvenirs du scénariste Pascal Jardin, le fils de Jean Jardin,
ancien haut-fonctionnaire du cabinet de Pierre Laval, organisateur de la rafle
du Vél'd'Hiv' dont le petit-fils Alexandre Jardin dira qu'il fut « aussi
influent qu'un René Bousquet, plus décisif qu'un Paul Touvier et infiniment
plus central qu'un Maurice Papon »[4].
[1]
Manifestation antiparlementaire des
ligues d'extrême-droite devant la Chambres des députés à Paris. Elle provoque
la chute du gouvernement Daladier.
[2]
Alexandre Stavisky, un escroc
notoire, était lié aux milieux politiques et financiers français. Son corps est
retrouvé agonisant dans un chalet à Chamonix le 8 février 1934. Sa mort suspecte
sera à l'origine des émeutes du 6 février 1934.
[3]
Albert Prince, magistrat au parquet
de Paris, enquêtait sur l'affaire Stavisky lorsque son corps attaché sur des
rails est découvert déchiqueté le 20 février 1934.
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