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Roman Polanski aime placer ses personnages dans des
espaces clos, étouffants, profondément anxiogènes et mortifères. Les appartements
de Carol (Catherine Deneuve dans Répulsion, 1965), de Rosemary (Mia
Farrow dans Rosemary's Baby, 1968) ou de Trelkovsky (Roman Polanski dans
Le Locataire, 1976) sont autant de domiciles marqués du sceau de la
normalité, mais dans lesquels leurs occupants sont peu à peu submergés par une confusion
mentale, une paranoïa voire une aliénation. Dans The Ghost Writer
(2010), le réalisateur nous plonge dans l'enfermement physique et mental d'un
prête-plume (Ewan McGregor) – un écrivain sans nom dans le film - chargé de
rédiger les mémoires de l'ancien Premier Ministre britannique Adam Lang (Pierce
Brosnan), contraint de rester aux États-Unis en raison des accusations de
crimes de guerre portées contre lui au Royaume-Uni. Un ancien membre de son cabinet
l'accuse, en effet, d'avoir autorisé l'enlèvement et le transfert de citoyens
britanniques de confession musulmane vers des prisons secrètes de la CIA pour y
être torturés. Sur les trois photogrammes, le scribe se trouve sur l'île de
Martha's Vineyard (Massachussetts)[1],
dans la résidence de Lang, un véritable bunker hyper sécurisé, planté
au milieu d'un paysage dunaire balayé par les embruns et les tempêtes
hivernales (photogramme 1). Encerclée par une solitude sauvage qui renvoie au
château de l'île de Lindisfarne au large des côtes du comté anglais de
Northumberland (Cul de sac, 1966), cette maison à deux étages, que
n'auraient pas renié les architectes du Bauhaus, est une résidence dont les
extérieurs lisses, sévères et épurés faits de briques, de béton et de verre tranchent
avec l'intérieur qui associe luxe et raffinement. L'architecture de cet espace donne
à voir une géométrie faite de couloirs en équerre, de pleins (le bureau du
photogramme 2) et de vides (la béance de l'escalier central du photogramme 3),
éclairés tout autant par des néons que par des baies vitrées ou par un puit de
lumière dont la clarté permet de mettre en relief l'apparente tranquillité du lieu.
Des tableaux de peintures abstraites, accrochés sur tous les murs qui bordent les
pièces et les coursives, donnent à la villa une allure de musée. Dans le bureau
d'Adam Lang, l'ouverture vitrée dévoile un horizon ensablé et herbeux, tout en
grisaille. L'écrivain s'y trouve souvent seul, en vase clos, à travailler les
mémoires de Lang, à reformuler les phrases, à supprimer des digressions
amphigouriques, mais surtout à chercher à comprendre pourquoi, quelques
semaines auparavant, la mer a charrié sur le rivage le cadavre de son
prédécesseur dont la présence hante encore ces murs, comme Simone Choule a pu
hanter, après sa défenestration, l'appartement parisien que loue le nouveau
locataire Trelkovsky (Le Locataire). Insidieusement, Polanski installe
entre ces murs une tension sourde, oppressante, quasi palpable. Par son cadre élégant
mais lisse, la villa peut être vue comme le reflet des caractères de leurs
occupants: Lang, un ancien Premier Ministre donc, portant beau, le verbe haut
mais postiche, cynique et poursuivi par son passé, sa femme Ruth (Olivia
Williams) aussi ambigüe que tourmentée, et Amélia Bly (Kim Cattrall), son assistante
et sa maîtresse, au visage fermé, énigmatique et hautain. Quant à l'écrivain,
il apparaît progressivement pris dans une intrigue opaque aux multiples
ramifications géopolitiques, perdu dans le labyrinthe de ses pensées inquiètes,
isolé dans un espace dans lequel les ouvertures architecturales et l'air du
large masquent mal un enfermement et un danger latent. Aux prises avec des
secrets cachés, il erre dans cette villa, naviguant entre le doute, les
faux-semblants et les apparences. On devine dans ce sanctuaire des
dissimulations, des manipulations, de la corruption et du déshonneur. Au-delà
des échos entre le scénario du film et les méandres tortueux et nauséabonds de
la politique britannico-américaine récente[2],
et au-delà de l'histoire personnelle de Roman Polanski[3],
The Ghost Writer déploie une géographie du malaise dans laquelle le
mensonge et les rapports de pouvoirs entre une élite politique, un quidam et la
société civile tout entière organisent un monde dans lequel la démocratie n'est
qu'un leurre.
[1]
Roman Polanski, ne pouvant se rendre
aux États-Unis depuis la fin des années 70 suite à ses déboires avec la justice
américaine, choisit de filmer sur deux îles allemandes de la mer du Nord et une
île danoise de la mer des Wadden. La mystification est totale.
[2]
Adam Lang fait inévitablement penser
à Tony Blair et à son tropisme américain pendant la guerre en Irak (2003).
[3] Adam Lang est bloqué aux États-Unis alors
que Roman Polanski est assigné à résidence dans son chalet à Gstaad (Suisse)
suite aux rebondissements judiciaires liés aux accusations de viol de 1977 portées
contre lui par la justice américaine.
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