Dans
ce photogramme extrait de Madame Bovary (Vincente Minnelli, 1949), Emma
Bovary (Jennifer Jones) et son amant Léon Dupuis (Christopher Kent) sont
enlacés dans une chambre d'hôtel de Rouen. Profondément insatisfaite de la vie
qu'elle mène depuis son mariage avec un médecin de campagne Charles Bovary (Van
Heflin), une vie faite de routine, d'espérances déçues et d'horizons anonymes, Emma
s'est depuis jetée dans l'extase des relations amoureuses, ivre de quadrilles,
de bals, de volupté, de parfums subtils, mais surtout ivre de cette liberté rebelle
que les conventions sociales du temps condamnent et que la morale réprouve. Aspirant
au luxe et à la richesse, elle rejette le monde provincial et rural étriqué
d'Yonville, un petit bourg perdu de Normandie dans lequel elle se sent prisonnière,
pour vivre un ailleurs qu'elle imagine aussi foudroyant que romanesque. De
passage à Rouen pour aller à l'opéra, et alors que son mari est reparti voir
ses patients, elle reste en ville pour retrouver celui qui avait, quelques
années auparavant, réprimé à son égard un sentiment amoureux, par ailleurs partagé.
Seuls dans cette chambre, à l'insu de tous les regards – excepté du nôtre – et
de manière instinctive, Emma et Léon s'abandonnent dans une étreinte frémissante
pour laisser libre cours à leurs passions et à leurs désirs. En tenues de
soirée, elle porte une robe bouffante blanche et lui une cape noire enveloppant
Emma, assortie d'une large écharpe autour du cou, comme pour fêter à la hauteur
de leurs espérances leurs retrouvailles intimes. Mais le panoramique
droite-gauche qu'effectue lentement la caméra de Vincente Minnelli pour fixer
dans un miroir ébréché l'image de ce couple, contredit leur élan amoureux. Le
reflet projeté d'Emma n'est plus celui de la femme narcissique d'autrefois, assaillie
de soupirants n'ayant d'yeux que pour elle, au cours du bal organisé par le
marquis d'Andervilliers, mais celle d'une antihéroïne tragique condamnée à
l'échec. La diagonale formée par la brisure du miroir scinde le couple en deux tout
autant pour mieux préfigurer l'impossible rêve d'absolu qu'Emma recherche entre
les bras de Léon, que pour souligner également sa fêlure interne, son
déchirement et ses contradictions irrémissibles entre ses lectures mondaines et
romantiques et son absence de lucidité sur la réalité et les hommes qui
l'entourent. Ainsi, personnage condamné à la clandestinité, Emma Bovary porte-t-elle
une robe de gala dans la chambre défraîchie d'un hôtel indigent, sans se rendre
compte de l'antinomie que son rendez-vous galant dans un tel cadre peut générer
de souffrance pour celle qui se rêve en princesse. Comme dans Les Ensorcelés
(The Bad and the Beautiful, 1952) ou La Vie passionnée de Vincent van
Gogh (Lust for Life, 1956), l'art de Vincente Minnelli consiste à mettre
à nu les passions humaines jusqu'à l'égarement et l'hypertrophie. Le personnage
du roman de Gustave Flaubert ne pouvait que rencontrer l'enthousiasme du
réalisateur convaincu que « le mal-être de ceux qui rejettent le moule que
veut leur imposer la société »[1]
ne peut être qu'universel.
[1] À la porte du
paradis, cent ans de cinéma américain/Cinquante-huit cinéastes de
Michael Henry Wilson, Armand Colin, p.246
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