Sorti deux ans après Les Tueurs (The Killers, 1946),
La Proie (Cry of the City, 1948) installe définitivement Robert Siodmak comme
l'un des maîtres du film noir américain. Martin Rome (Richard Conte dans les
quatre premiers photogrammes lisibles de gauche à droite) est un criminel
récemment évadé d'un hôpital pénitentiaire. Poursuivi par la police, aux abois,
il lui faut immédiatement de l'argent. Ayant récupéré chez son avocat des
bijoux volés, Rome cherche à les échanger contre cinq mille dollars à une
masseuse Rose Given (Hope Emerson), la responsable du vol crapuleux desdits
bijoux et du meurtre par strangulation de sa propriétaire. Toute cette séquence est filmée en plan fixe
et long pour jouer sur la profondeur de champ et suggérer une menace latente. Dans
ce type de plan, la dynamique de l'image provient essentiellement des
mouvements internes. Alors que la nuit recouvre New-York, Martin Rome se retrouve
devant la porte d'entrée vitrée de l'institut de massage de Rose. Quelques
secondes après avoir sonné, une autre porte s'ouvre tout au bout d'un couloir
interminable et une silhouette émerge de l'obscurité pour s'avancer vers lui.
Telle une apparition fantomatique, Rose marche d'un pas assuré, allumant la
lumière au fur et à mesure qu'elle traverse les pièces de son logement, tout en
restant toujours dans l'ombre. Les seules pièces illuminées sont celles qu'elle
vient de quitter. Sans hésitation, en dépit de l'heure tardive, la masseuse
passe ainsi de l'ombre à la lumière, marquant du sceau de l'ambiguïté sa
fonction : une masseuse le jour et une criminelle la nuit, le lien se faisant
autour de ses mains capables tout autant de masser que d'étrangler. Le type
d'éclairage utilisé par le réalisateur et son directeur photo Lloyd Ahern
renvoie à l'expressionnisme allemand des années 20 – le réalisateur est né en
1900 à Dresde – faisant de ce contraste d'ombre et de lumière, la manifestation
de la nature criminelle du personnage. Mais, alors que le visage de Rose reste jusqu'au
bout dans l'obscurité sans pouvoir l'identifier, sa présence physique, avec ce
corps grand et massif, apparaît immédiatement menaçante. Arrivée au terme de sa
déambulation silencieuse, elle ouvre la porte et domine de toute sa carrure
Martin. Sanglée dans un sarrau blanc, Rose ne trompe personne sur sa nature
corrompue, lisible dans son attitude ombrageuse et revêche, le front plissé,
les yeux froids et la bouche exprimant un mélange de mépris et d'arrogance. La
moitié de son visage restant dans l'ombre et la place centrale qu'elle prend
dans le cadre parachèvent sa sinistre apparence et ne font qu'accroître la
tension. Filmée en contre-plongée, Rose exprime un égocentrisme et une
puissance telle que Martin est rejeté hors-champ. C'est elle désormais qui mène
le jeu. De manière obsessionnelle, Robert Siodmak avait déjà évoqué des
disciples de la strangulation dans Les
Mains qui tuent (Phantom Lady,
1944) ou encore Deux mains, la nuit (The Spiral Staircase, 1945) permettant ainsi au réalisateur de
renouer, aux États-Unis, avec l'atmosphère inquiétante de certains de ses films
allemands (Adieux/Abschied, 1930), qu'il avait mis en scène
avant d'être contraint de quitter son pays pour fuir le nazisme.
samedi 3 avril 2021
La menace chez Robert Siodmak
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