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Garde
du corps d'une fidélité sans faille, homme de confiance et de l'ombre, âme
damnée de Michael Corleone (Al Pacino), Al Neri (Richard Bright) est le tueur
chargé de toutes les basses besognes du Don qu'il sert avec un zèle taiseux. Dépositaire
de tous les secrets de la famille Corleone, il est l'un des quatre personnages
qui traversent – de manière inégale – le triptyque du Parrain de Francis Ford Coppola après Michael le chef de famille,
sa sœur Connie Corleone (Tania Shire) et sa femme, Kay Adams-Corleone (Diane
Keaton). Al Neri a dans Le Parrain, 2e
partie (The Godfather: Part 2,
1974), une présence inversement proportionnelle aux rares dialogues qu'il
prononce. Coppola le filme dans le champ, et le plus souvent en arrière-plan,
dès que Michael apparaît et particulièrement lors de cette séquence concernant
la veillée mortuaire de Carmela Corleone, la mère du Don. Au premier plan du
photogramme 1, Fredo Corleone (John Cazale), le frère ainé, est assis, la tête
basse, le coude appuyé sur une table, fumant une cigarette pour apaiser sa
douleur. Récemment chassé du domicile familial par Michael en raison des liens
tissés à son insu par des concurrents des Corleone, il ne sait pas que sur
l'ordre de Michael, Neri a été chargé de l'assassiner après le décès de leur
mère. À la demande de Connie qui cherche à réconcilier ses deux frères, Michael
est en train de s'approcher de Fredo pour lui donner le baiser de Judas
(photogramme 2). Tout est net dans le plan pour bien montrer les liens qui
existent entre les trois hommes : le commanditaire du meurtre, la victime et le
tueur. Autour d'eux, personne ne se
doute du drame à venir. Tout au long de cette séquence, entre le recueillement
de la parentèle autour du corps de Carmela et la part secrète de la transaction
qui unit Michael à Neri, s'insinue l'effroi fratricide et l'insondable
incapacité de Michael à envisager le moindre pardon pour Fredo. Le regard tout
en contrôle qu'il porte à Neri à ce moment-là ne prête à aucune équivoque et
reste l'ultime réponse d'une autorité qui ne sait pas encore que la mise à mort
de son frère va le hanter toute sa vie. Tous ces éléments donnent au cadre une
dimension mortifère dans laquelle l'exécuteur des basses œuvres du Don est mis
à nu (photogramme 3), vampirisé par cette absolue nécessité de légitimer ses
fonctions. Personnage faustien, le visage inexpressif et sans état d'âme, il est
une figure du mal et l'incarnation des rapports de vassalité qui unissent tous
ceux qui gravitent autour de la famille Corleone. Cette soumission et cette
fidélité normalisent naturellement le meurtre de Fredo dont l'accomplissement
ne saurait tarder. Mais en dépit de cette proximité qu'il partage avec Michael,
Neri ne nourrit aucune autre ambition que celle de servir son seigneur et
maître. Tout à la fois homme de la périphérie et du premier cercle, il sait
qu'elle est sa place et reste ce bras armé, cette prolongation muette du
caractère implacable et impitoyable de son patron désormais marqué au fer rouge
par le signe de Caïn.
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