La mise en scène de cette séquence de La Prisonnière du désert (The Searchers, John Ford, 1956) est remarquable. Le moment est décisif puisque Ethan Edwards (John Wayne, à gauche) et Martin Pawley (Jeffrey Hunter, au centre) rencontrent pour la première fois Debbie (Natalie Wood, à droite) depuis son enlèvement par les Comanches cinq ans plus tôt. Objet d’une quête insatiable de la part de son oncle (Ethan) et de son frère adoptif (Martin), tous deux désireux, coûte que coûte, de récupérer Debbie, la petite fille d’alors est devenue une jeune femme, une jeune indienne, épouse du chef Scar (Henry Brandon) et peu disposée à retourner vivre parmi les Blancs. Le premier photogramme présente Ethan et Martin, écrasés par un soleil brûlant, en train de s’installer pour bivouaquer à proximité du camp comanche dans lequel se trouve Debbie. Deux couvertures étendues sur le sable témoignent de leur volonté de passer la nuit ici. Une cafetière en tôle émaillée repose sur des pierres cerclant un feu de camp de fortune dont les volutes de fumée sont dispersées par le vent du désert. Une Winchester, posée de guingois contre un baril (de poudre ?), nous rappelle que le danger est tout proche et que la moindre inattention pourrait leur être fatale. La rivière qui coule en contrebas leur permet de se ravitailler en eau, et la ligne d’horizon coupée par une mesa est partiellement cachée par une immense dune dont la couleur ocre tranche avec le bleu du ciel. Mais tout à leur discussion ironique sur l’hospitalité comanche, ils ne voient pas ce petit point noir au sommet de la crête dunaire, à l’intersection des deux versants. Notre œil est dans l’impossibilité de le distinguer puisque le réalisateur détourne notre attention sur la conversation entre les deux hommes.
Puis, progressivement tout se dénoue.
Le deuxième photogramme révèle l'événement brutal et inattendu que, dans un
premier temps, seul le spectateur peut percevoir puisque Martin et Ethan sont
de dos. En avance sur eux, notre regard est aimanté par la silhouette
de Debbie qui vient de se dresser au sommet de la dune avant de se
précipiter à toute vitesse vers la rivière. L’écart entre ce que nous savons et
ce que savent Ethan et Martin, associé à la course folle de Debbie contrastant
avec l’immobilité du couple au premier plan, crée ici une tension
dramatique qui ne peut se résoudre que lorsque les trois protagonistes seront
face-à-face. Mais là encore, John Ford joue avec nos nerfs en résolvant l’enjeu
de cette confrontation en deux temps : dans le photogramme trois, Martin est le
premier à se retourner pour se figer instantanément à la vue de Debbie et,
quelques secondes plus tard, dans le photogramme quatre, c’est au tour d’Ethan
de voir celle qu’il traque depuis si longtemps. La caméra n’a toujours pas
modifié son axe et nous empêche de voir la stupéfaction sur leurs visages. Mais
le temps d’arrêt que marque chaque corps ne trompe pas. Alors qu’Ethan reste
interdit, Martin s'est déjà précipité vers Debbie. Cette autre course prépare
les contrechamps à venir. Cette dilatation temporelle sert le propos de John
Ford. Martin Pawley est le premier à voir Debbie parce qu’il veut la sauver des
griffes des Comanches, mais aussi la protéger de la violence d’Ethan qui
n’accepte pas que sa nièce (sa fille ?) ait pu être souillée par des Indiens
qu’il poursuit de son racisme et sa haine inextinguible.
Élaborée en fonction du récit qu’elle
doit servir, cette séquence est soumise à une progression interne dramatique très
contrôlée. Ici, avec une économie de moyens remarquable, la caméra, fixe, révèle
grâce à la profondeur de champ, tous les éléments qui font l’art de la mise en
scène fordienne : sens du détail, interférence de plusieurs actions dans le
cadre, sens de l’espace, intimité et violence des sentiments ……
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