Butch Cassidy et le Kid (Butch Cassidy
and the Sundance Kid, George Roy Hill, photogramme 1) et La Horde sauvage (The Wild Bunch, Sam Peckinpah, photogramme 2) sont sortis, tous
deux, en 1969 et signent, chacun à leur manière, le crépuscule des héros. Si le
photogramme 1 clôture le film de George Roy Hill, le photogramme 2, quant à
lui, ouvre l'œuvre maîtresse de Sam Peckinpah, mais dans les deux cas de figure,
le choix de l'image fixe, monochrome,
statufie pour l'éternité des outlaws qui n'ont plus leur place, au début du XXe
siècle, dans l'Ouest américain.
Fuyant
les États-Unis pour chercher d'autres banques à cambrioler en Bolivie, Butch
Cassidy (Paul Newman) et le Kid (Robert Redford) sont repérés, blessés et assiégés par une force militaire
proportionnelle aux forces dont disposait le général Santa Anna avant de livrer
son assaut contre l'Alamo. Ils décident, le colt à la main, de se lancer dans
un dernier baroud d'honneur et jaillissent d'un bâtiment dans lequel ils s'étaient
réfugiés pour charger les forces de l'ordre. Alors que résonnent à trois
reprises les fueguos et les salves
meurtrières, l'image se fige et le champ s'élargit progressivement pour laisser
nos deux desperados en suspension et les faire mourir hors-champ. La couleur
sépia (image monochrome dont les valeurs tirent vers le brun) utilisée par
George Roy Hill indique par corrélation l'ancienneté d'un monde perdu et la
nostalgie du temps passé. Les héros ne sont plus ce qu'ils étaient.
Romantiques, insouciants, malicieux, jouisseurs, profondément anarchistes et libres, Butch et
le Kid sont l'antithèse des John T. Chance (John Wayne dans Rio Bravo), Will Kane (Gary Cooper dans Le Train sifflera trois fois) ou encore
Matt Morgan (Kirk Douglas dans Le Dernier
train pour Gun Hill) qui représentaient la loi et l'ordre dans un monde
sauvage qui devait être dompté. Chez Peckinpah, l'image représente, dans un
camaïeu de gris, l'entrée en scène de la horde en route pour le hold-up d'une
banque. Les silhouettes noires des cavaliers intensifient l'avancée funèbre et le
sentiment de menace imminente. Là aussi, l'image vient de se figer , faisant
écho à celle de Butch et du Kid. « Par le
biais de ces images bloquées aux allures de vieilles photos, cette immobilité
étrange semble refléter leur destin: ne sont-ils pas déjà des statues, des
vestiges dans cette Amérique qui va trop vite pour eux » ? (1) Assurément,
mais il n'est plus question ici de légende au sens où l'entendait John Ford
(l'exaltation de l'épopée de la conquête d'une terre promise) puisque Sam
Peckinpah la dynamite avec une rage au ventre qui va tout dévaster sur son
passage. Butch, le Kid et les membres de la horde sont des hommes du XIXe
siècle en déshérence, et figés à tout jamais dans un ancien monde, le monde
d'avant la fin de la conquête de l'Ouest; ils sont décalés et désabusés par une
société qu'ils ne comprennent plus. Ils savent qu'ils doivent mourir et n'ont
qu'une apparence de liberté pour choisir le lieu de leur sépulture (Les
États-Unis ne voulant plus d'eux, nous retrouvons Butch et le Kid en Bolivie et
les membres de la Horde au Mexique). Même si le nihilisme, la violence viscérale
et l'orgie de sang peckinpiens s'opposent au romantisme doux-amer, libertaire
et nonchalant roy-hillien, ces hors-la-loi anachroniques restent des géants au
milieu d'un monde de nains: par la grâce d'une image fixe leur conférant une
présence indéfectible et à défaut
d'entrer dans la légende de l'Ouest, ils entrent de manière indélébile dans la
mémoire cinéphilique. Cette vision, qui tranche avec le western classique,
accompagne les coups de boutoir que connaît la société américaine (guerre du
Vietnam, contre-culture, revendication des droits pour les minorités,
assassinats politiques) à la fin des
années 60 et annonce les mutations du western et du cinéma américain dans le
cadre du Nouvel Hollywood des années 70 (2).
(1) Univers du Western de Georges-Albert Astre et Albert-Patrick Hoarau,
Éditions Seghers, 1973, p.372
(2) Voir
l'article La fin du rêve chez Dennis
Hopper
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