mardi 8 janvier 2019

L'image fixe chez George Roy Hill et Sam Peckinpah




Butch Cassidy et le Kid (Butch Cassidy and the Sundance Kid, George Roy Hill, photogramme 1) et La Horde sauvage (The Wild Bunch, Sam Peckinpah, photogramme 2) sont sortis, tous deux, en 1969 et signent, chacun à leur manière, le crépuscule des héros. Si le photogramme 1 clôture le film de George Roy Hill, le photogramme 2, quant à lui, ouvre l'œuvre maîtresse de Sam Peckinpah, mais dans les deux cas de figure, le choix de l'image fixe,  monochrome, statufie pour l'éternité des outlaws qui n'ont plus leur place, au début du XXe siècle, dans l'Ouest américain.
Fuyant les États-Unis pour chercher d'autres banques à cambrioler en Bolivie, Butch Cassidy (Paul Newman) et le Kid (Robert Redford) sont repérés,  blessés et assiégés par une force militaire proportionnelle aux forces dont disposait le général Santa Anna avant de livrer son assaut contre l'Alamo. Ils décident, le colt à la main, de se lancer dans un dernier baroud d'honneur et jaillissent d'un bâtiment dans lequel ils s'étaient réfugiés pour charger les forces de l'ordre. Alors que résonnent à trois reprises les fueguos et les salves meurtrières, l'image se fige et le champ s'élargit progressivement pour laisser nos deux desperados en suspension et les faire mourir hors-champ. La couleur sépia (image monochrome dont les valeurs tirent vers le brun) utilisée par George Roy Hill indique par corrélation l'ancienneté d'un monde perdu et la nostalgie du temps passé. Les héros ne sont plus ce qu'ils étaient. Romantiques, insouciants, malicieux, jouisseurs,  profondément anarchistes et libres, Butch et le Kid sont l'antithèse des John T. Chance (John Wayne dans Rio Bravo), Will Kane (Gary Cooper dans Le Train sifflera trois fois) ou encore Matt Morgan (Kirk Douglas dans Le Dernier train pour Gun Hill) qui représentaient la loi et l'ordre dans un monde sauvage qui devait être dompté. Chez Peckinpah, l'image représente, dans un camaïeu de gris, l'entrée en scène de la horde en route pour le hold-up d'une banque. Les silhouettes noires des cavaliers intensifient l'avancée funèbre et le sentiment de menace imminente. Là aussi, l'image vient de se figer , faisant écho à celle de Butch et du Kid. « Par le biais de ces images bloquées aux allures de vieilles photos, cette immobilité étrange semble refléter leur destin: ne sont-ils pas déjà des statues, des vestiges dans cette Amérique qui va trop vite pour eux » ? (1) Assurément, mais il n'est plus question ici de légende au sens où l'entendait John Ford (l'exaltation de l'épopée de la conquête d'une terre promise) puisque Sam Peckinpah la dynamite avec une rage au ventre qui va tout dévaster sur son passage. Butch, le Kid et les membres de la horde sont des hommes du XIXe siècle en déshérence, et figés à tout jamais dans un ancien monde, le monde d'avant la fin de la conquête de l'Ouest; ils sont décalés et désabusés par une société qu'ils ne comprennent plus. Ils savent qu'ils doivent mourir et n'ont qu'une apparence de liberté pour choisir le lieu de leur sépulture (Les États-Unis ne voulant plus d'eux, nous retrouvons Butch et le Kid en Bolivie et les membres de la Horde au Mexique). Même si le nihilisme, la violence viscérale et l'orgie de sang peckinpiens s'opposent au romantisme doux-amer, libertaire et nonchalant roy-hillien, ces hors-la-loi anachroniques restent des géants au milieu d'un monde de nains: par la grâce d'une image fixe leur conférant une présence indéfectible et  à défaut d'entrer dans la légende de l'Ouest, ils entrent de manière indélébile dans la mémoire cinéphilique. Cette vision, qui tranche avec le western classique, accompagne les coups de boutoir que connaît la société américaine (guerre du Vietnam, contre-culture, revendication des droits pour les minorités, assassinats politiques) à  la fin des années 60 et annonce les mutations du western et du cinéma américain dans le cadre du Nouvel Hollywood des années 70 (2). 
  
(1) Univers du Western de Georges-Albert Astre et Albert-Patrick Hoarau, Éditions Seghers, 1973, p.372

(2) Voir l'article La fin du rêve chez Dennis Hopper




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