lundi 16 mai 2016

L'appartement chez Roman Polanski


Le Locataire (1976) est probablement le film le plus terrifiant de Roman Polanski. Adapté du roman de Roland Topor, Le Locataire chimérique, il raconte une tranche de vie d’un dénommé Trelkowsky (Roman Polanski) qui décide d’emménager dans un appartement parisien dont la précédente locataire, Simone Choule, s’est suicidée. Malhabile, timide, emprunté dans ses gestes, en butte avec l’agressivité quotidienne de ses voisins, Trelkowsky va progressivement  sombrer dans une paranoïa aigüe tout en étant persuadé que ces mêmes voisins veulent le pousser au suicide. L’abîme qui s’ouvre devant lui s’accompagne d’une lente dépossession schizophrénique de son corps et de son esprit pour mieux s’identifier à Simone Choule dont tout le monde se plaît à lui rappeler les gestes et les habitudes quotidiennes. Ici, la transformation vient de s’achever. Après avoir revêtu une  robe de Simone, chaussé une de ses paires de chaussures à talon et  acheté une perruque, Trelkowsky (mais peut-on encore évoquer son nom puisqu’il est devenu Simone ?) s’est assis devant la fenêtre funeste, à partir de laquelle la précédente locataire s’est jetée dans le vide. La photographie, signée Sven Nykvist, le chef-opérateur d'Ingmar Bergman, donne une perception angoissante et lugubre de l’appartement qui s’apparente à celui de Répulsion (1965), un précédent film de Roman Polanski. L’éclairage rasant  donne à l’image une dimension crépusculaire. La configuration étriquée de la pièce renforce la solitude et les hallucinations du personnage enfermé dans son délire de persécution. Une lampe de chevet éclairée, un lit, une chaise, une table, une autre lampe, un fauteuil et un tapis défraîchi complètent, dans une semi-obscurité, le décor réduit à sa plus simple expression. Et dans une centralité parfaite, vu de dos, immobile et silencieux, mais dans un silence assourdissant qui s’apparente au Cri d’Edvard Munch, Trelkowsky, dépossédé de son existence propre, se retrouve face à ses démons intérieurs. La fenêtre n’est plus une ouverture mais l’expression de son trouble psychotique, tout comme la perruque ou les vêtements de Simone. À l’instar d’Orson Welles qui avait l’habitude depuis Citizen Kane (1940) de tout filmer dans le plan de manière nette, Polanski intègre grâce à une longue profondeur de champ, tous les éléments bien visibles de sa séquence: un appartement miteux, des objets qui nous renvoient à notre vie quotidienne, un locataire dont le regard nous est caché mais qui fixe, sans aucun doute, intensément et de manière hypnotique, cette fenêtre. La mise en scène de Roman Polanski s’apparente ici à une plongée en apnée dans un cauchemar éveillé qui est sur le point de trouver son épilogue. Vilipendé de manière incompréhensible au moment de sa sortie, Le Locataire est devenu avec le temps, ce qu’il a toujours été, un très grand film.


                                                                                  Roman Polanski

           
                                                                    Le Cri d'Edvard Munch (1893)




Aucun commentaire:

Publier un commentaire