jeudi 26 mai 2016

Le décor chez Ernest B.Schoedsack et Irving Pichel


Les Chasses du comte Zaroff (The Most Dangerous Game, 1932) est doté d’un scénario exceptionnel. Un aristocrate russe, le comte Zaroff (Leslie Banks, superbe) grand chasseur de fauves, ayant fui la révolution bolchévique, se réfugie sur une île déserte pour recueillir tous les naufragés qui auraient eu le malheur de naviguer trop près des récifs qui bordent son île. Insatisfait et lassé par la chasse aux animaux, il organise des traques contre le seul gibier qui lui procure encore des sensations; l’homme. Bob Rainsford (Joel McCrea) et Eva Trowbridge (Fay Wray) sont les nouvelles victimes de ce prédateur d’un type nouveau, aussi raffiné et excentrique que meurtrier et machiavélique. Les décors, entièrement reconstitués dans les studios de la RKO Radio Pictures, vont servir au tournage simultané d’un autre film, appelé à passer à la postérité cinématographique, King Kong (1933) du même Schoedsack, mais avec, cette fois-ci, la collaboration de Merian C. Cooper et la même Fay Wray dans le rôle d’une autre héroïne malmenée par un monstre d’une espèce différente.

Cette jungle reconstituée, qui ne se veut pas réaliste, doit agir  de telle manière qu’elle génère en nous un retour à la barbarie et aux peurs primaires de notre inconscient : île non répertoriée sur les cartes, absence de civilisation, espace végétal hostile et impénétrable, marais peuplés de crocodiles, brouillard anxiogène, précipices vertigineux, grottes mystérieuses, falaises battues par les vagues déchaînées, c’est toute notre imagination qui est mise à contribution. De l’Île au trésor de Robert Louis Stevenson (1883) au Monde perdu  d’Arthur Conan Doyle (1912), en passant par Les Mines du roi Salomon d’Henry Rider Haggard (1885), la littérature fourmille de ces lieux qui défient l’imagination, nous sortent de notre confort moderne et nous transportent dans des contrées exotiques lointaines et mystérieuses. Ces romans – ainsi que la nouvelle de Richard Connell, The Most Dangerous Game (1925) - vont directement inspirer les cinéastes, particulièrement au moment où la crise de 1929 fait rage aux États-Unis. Le message est alors explicite au pays du capitalisme; celui qui survit à l’adversité est celui qui s’adapte à son nouvel environnement. Bob Rainsford, les deux pieds bien calés dans la fange marécageuse a le regard déterminé de celui qui veut vendre chèrement sa peau. Tenant solidement son poignard, il dirige son regard vers un hors-champ salvateur, tout en soutenant à bout de bras Eve, son infortunée compagne, qui elle, tourne son regard en arrière, vers le danger symbolisé par une meute de chiens lancée à leurs trousses et dirigée par le comte sanguinaire, cet ogre terrifiant qui court à grandes enjambées à travers le brouillard épais qui  enveloppe chasseur et gibier. L’atmosphère est poisseuse et délétère, révélatrice des angoisses humaines face à l’inconnu. Les années 30 vont être propices à l’apparition sur les écrans de monstres qui vont hanter jusqu’à nos jours tous les films fantastiques, particulièrement américains; outre Zaroff, d’autres personnages ou créatures comme Dracula, Frankenstein, King-Kong, l’Homme invisible ou encore des médecins déjantés comme les docteurs Jekyll ou Moreau ont été et restent des êtres hors normes, victimes de leur folie ou de leur perfidie. Seul King-Kong saura se montrer plus humain que les chasseurs qui le pourchassent. 

 
Leslie Banks



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