dimanche 20 mars 2022

Le papillon chez Lewis Milestone

 
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En octobre 1918, à quelques centimètres d'une tranchée allemande, un papillon vient de se poser délicatement sur le couvercle d'une boîte de conserve vide, abandonnée à l'extérieur du parapet. À travers une meurtrière encadrée par des sacs de sable, le soldat Paul Bäumer (Lew Ayres), le voit, lève la tête au-dessus de la tranchée (photogramme 1), puis tend la main pour s'en saisir avec précaution (photogramme 2). Oubliant toute prudence, il ne réalise pas qu'il offre au sniper français qui le vise au même moment, une cible de choix. Alors qu'il se penche, hors-champ, plus près du papillon, le coup de feu tranche l'écran d'un son aussi assourdissant qu'aigu, et la main de Paul recule subitement pour se détendre lentement et s'immobiliser dans la mort, après un dernier spasme. Interrompant une mélodie jouée en arrière-plan à l'harmonica, le silence, désespérant et sinistre, submerge désormais tout le cadre. Après J'accuse (Abel Gance,1919) et avant L'homme que j'ai tué (Broken Lullaby, Ernst Lubitsch, 1932) et Les Croix de bois (Raymond Bernard, 1932), mais en même temps que Quatre de l'infanterie, (Westfront 1918, G.W. Pabst, 1930), À l'Ouest, rien de nouveau (All Quiet on Western Front, Lewis Milestone, 1930[1]) est un témoignage particulièrement saisissant dénonçant l'absurdité et la monstruosité de la guerre. Cette séquence, mêlant poésie et violence brutale, fragilité de la vie et mort soudaine, renforce le discours profondément pacifiste et humaniste du film. Comme autant de rappels de son adolescence passée dans la maison familiale - Paul collectionnait depuis l'enfance les papillons – et de la beauté de la nature, le papillon matérialise cette innocence perdue au fond des tranchées de la Première guerre mondiale, dans lesquelles le cadavre de Paul va s'ajouter aux millions de morts qui jonchent déjà les champs de bataille européens.  En oubliant momentanément le danger toujours présent, même au mois d'octobre, Paul ne peut s'empêcher de tenter de capter cette part de lui-même, cette part de son humanité que le fracas des armes et des bombes n'a pas réussi à éradiquer. Parce que si le papillon évoque la métamorphose, alors Paul espère-t-il une mue qui lui permettrait de renaître pour se prouver à lui-même qu'il est autre chose que de la chair à canon, sacrifiée et jetée en pâture pour satisfaire le patriotisme, l'aveuglement et la médiocrité des décideurs politiques et militaires. Comme Quatre de l'infanterie, À l'Ouest rien de nouveau, sera interdit en Allemagne par Goebbels avant que l'auteur du roman éponyme ne soit déchu de sa nationalité allemande en 1938. Ces films n'avaient pas l'heur de plaire au Ministre de la Propagande, soucieux de préparer les mentalités à une nouvelle guerre dévastatrice. Entretemps, Jean Renoir avait réalisé La Grande illusion en 1937, un autre film pacifiste mais lucide sur l'impossible fraternisation des hommes, comme un prélude à l'éternel recommencement de la barbarie humaine.



[1] Le film s'inspire du célèbre roman du même titre écrit par Erich Maria Remarque en 1929




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