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Le zoom est un travelling optique que
John Ford utilise de manière rarissime. Il n'en revêt donc que plus
d'importance lorsqu'il l'utilise dans le choix de la mise en scène. Nous pensons
immédiatement à celui qui introduit Ringo Kid (John Wayne) dans La
Chevauchée fantastique (Stagecoach, 1939), mais aussi à celui utilisé
à ce moment dans La Prisonnière du désert (The Searchers, 1956). Le
photogramme 2 fige la résolution de ce zoom avant effectué très rapidement, permettant ainsi d'attirer le regard du spectateur vers le visage du personnage
principal, en l'occurrence Ethan Edwards (John Wayne). Que veut nous dire John
Ford ? Sillonnant les territoires de l'Ouest à la recherche de sa nièce (sa
fille ?[1])
Debbie, la seule survivante de sa famille massacrée, kidnappée quelques années
plus tôt par les Comanches, Ethan vient d'apprendre que deux anciennes prisonnières,
deux jeunes filles blanches, ont été trouvées et emmenées, il y a peu, dans
un fort de l'armée américaine. Une fois rendu sur place, il ne peut que
déchanter face à celles qui ont gardé les stigmates de leur captivité. Leur air
hagard et hébété, leur incapacité à parler ne serait-ce qu'un seul mot en
anglais, leur perte de tout sens de la réalité confrontent Ethan à ses démons
intérieurs (photogramme 1). Avant de tourner les talons, il se retourne
brusquement pour les regarder et se figer devant la caméra, devançant de
quelques secondes le zoom qui entre alors en action. Ce dernier « porte sur
la relation étroite entre le visage et l'âme humaine, qui sous-tend la grande
puissance émotionnelle des gros plans »[2].
Avec ses traits froids et durs, ses mâchoires serrées et ses yeux en partie
masqués par l'ombre de son stetson, son visage exprime une rage intérieure et
une haine inextinguible pour ces Indiens – tous les Indiens - qui ont commis ce
forfait, mais aussi pour celles qui ne sont manifestement plus pour lui des
Blanches. Son regard halluciné dit clairement qu'il est prêt au meurtre pour
laver la souillure que représente l'union entre des femmes blanches et des Indiens.
Cette folie haineuse laisse augurer le pire pour Debbie, en ce sens que cette croisade,
cette quête obsessionnelle pour la libérer de ses ravisseurs se transforme
progressivement en une volonté de purifier dans le sang cette corruption de la
lignée familiale qu'Ethan considère comme une transgression, une profanation de
l'ordre blanc et de sa civilisation. Cette fixation meurtrière soulignée par
son regard inquiétant suggère qu'il vient de réaliser que Debbie s'est
probablement intégrée à la tribu pour devenir une authentique Comanche. À ses yeux, il vaudrait mieux qu'elle soit
morte que vivante. Mais le personnage est encore plus complexe. Ethan est un
individu déséquilibré, animé de pulsions violentes, profondément névrosé et
raciste, une figure que John Ford a voulu négative, anti-héroïque et tragique. Le
fait de chercher à tuer Debbie révèle ses tourments et ses tendances
autodestructrices, si nous considérons la jeune fille comme un symbole de la
recherche de son passé, ou comme un lien fondamental entre lui et sa famille perdue.
Anéantir ce lien équivaudrait à la pulsion paradoxale d'un homme convaincu de
détruire ce qu'il aime.
[1] Voir chronique Le non-dit chez John Ford
[2] Philosophie politique du western, les ambiguïtés du mythe américain de Robert B. Pippin, Les Éditions du Cerf, 2021, p.182
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