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Pour Joseph L. Mankiewicz, Jules César est
manifestement un personnage fascinant puisqu'il lui a consacré deux films: Jules
César (Julius Caesar, 1950) dont le rôle-titre est interprété par
Louis Calhern et ici Cléopâtre (Cleopatra, 1963) dans lequel Rex
Harrison prête ses traits à celui qui fut soupçonné, dans une République
défaillante, de vouloir instaurer une monarchie à Rome. Personnage flamboyant de
l'Antiquité, romantique et démesuré, homme politique dévoré par l'ambition,
grand stratège militaire, rhéteur à l'égal d'un Cicéron, écrivain-témoin de son
époque, il ne pouvait qu'intéresser le cinéma et particulièrement Joseph L.
Mankiewicz, fin lettré et ardent laudateur des auteurs grecs et latins comme
Plutarque[1],
mais aussi de l'œuvre de Shakespeare[2].
Les deux photogrammes montrent en surimpression le déroulement de l'assassinat
de Jules César (Rex Harrison donc) aux ides de mars (15 mars 44 avant
Jésus-Christ) perçu au même moment par Cléopâtre (Elizabeth Taylor au centre du
photogramme 1) à travers les flammes et la fumée d'un rite incantatoire
effectué dans un temple dédié aux divinités égyptiennes, à l'intérieur de la
maison de César. L'arrêt sur image (photogramme 1) est fait quelques secondes après
que Brutus (Kenneth Haigh à droite), le protégé du maître de Rome, lui a porté
l'estocade. Victime d'un complot organisé par un groupe de sénateurs désireux
de sauver la République, le corps ensanglanté par une vingtaine de coups de
poignards maculant progressivement sa toge blanche bordée de pourpre, Jules
César s'effondre sur le marbre de la Curie de Pompée où siège le Sénat à Rome, au
pied d'une colonne sur laquelle est inscrit Pompeio Magno Imper Iter, ou
Pompée le Grand Imperator (photogramme 2). Ironiquement, César meurt de
la même façon que son vieil adversaire assassiné sur l'ordre de Ptolémée XIII,
le propre frère de Cléopâtre en - 48[3].
La vision hallucinatoire qu'a Cléopâtre, la maîtresse de César, de cette
tragédie, s'apparente selon Mankiewicz – suivant en cela les écrits de Suétone[4]
- aux signes prémonitoires du drame à venir dont César n'a pas tenu compte: au
cours d'un sacrifice l'haruspice[5]
Spurinna lui dit de se méfier des ides, et le matin même de l'assassinat, la
femme de César Calpurnia, après avoir vu le meurtre de son mari en rêve, lui
demande de ne pas se rendre au Sénat. En vain. Les traits déformés par la
douleur, le corps pris de convulsions, elle pleure son amant défunt (voir
photogramme 1). Cette femme de pouvoir à la féminité souveraine qui a réussi à
envoûter l'homme le plus puissant de Rome, perd à cet instant sa maîtrise
habituelle, se sachant impuissante à changer le cours de l'Histoire. Habituellement
utilisé pour faire revivre le passé dans le présent, le procédé de
surimpression juxtapose ici la même temporalité dans deux lieux différents avec
deux personnages distincts. Ces espaces dramatiques respectifs, la Curie et le
temple, se rejoignent toutefois dans la complémentarité de leurs destins
funestes: César meurt sans avoir pu aller au terme de son ambition et Cléopâtre,
désormais isolée, n'a d'autre choix que de rentrer en Égypte. Sa rencontre avec
Marc-Antoine (Richard Burton), puis son opposition à Octave (Roddy McDowall) seront
marquées du sceau de la fatalité.
[1] Vies parallèles des hommes illustres dont celle de César (entre 100 et 120
après J-C)
[2]
Le dramaturge anglais de
Stratford-upon-Avon écrivit la tragédie Julius Caesar en 1599.
[3]
César et Pompée s'affrontent pendant
la guerre civile romaine de – 49, chacun rivalisant avec l'autre pour affirmer
leurs prétentions au pouvoir. Défait à la bataille de Pharsale, Pompée se
réfugie en Égypte ou il est assassiné en – 48.
[4]
Historien romain (vers 70 – vers 122
après Jésus-Christ), auteur de La Vie des douze Césars (début du IIe
siècle).
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