dimanche 7 novembre 2021

Les ides de mars chez Joseph L. Mankiewicz


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Pour Joseph L. Mankiewicz, Jules César est manifestement un personnage fascinant puisqu'il lui a consacré deux films: Jules César (Julius Caesar, 1950) dont le rôle-titre est interprété par Louis Calhern et ici Cléopâtre (Cleopatra, 1963) dans lequel Rex Harrison prête ses traits à celui qui fut soupçonné, dans une République défaillante, de vouloir instaurer une monarchie à Rome. Personnage flamboyant de l'Antiquité, romantique et démesuré, homme politique dévoré par l'ambition, grand stratège militaire, rhéteur à l'égal d'un Cicéron, écrivain-témoin de son époque, il ne pouvait qu'intéresser le cinéma et particulièrement Joseph L. Mankiewicz, fin lettré et ardent laudateur des auteurs grecs et latins comme Plutarque[1], mais aussi de l'œuvre de Shakespeare[2]. Les deux photogrammes montrent en surimpression le déroulement de l'assassinat de Jules César (Rex Harrison donc) aux ides de mars (15 mars 44 avant Jésus-Christ) perçu au même moment par Cléopâtre (Elizabeth Taylor au centre du photogramme 1) à travers les flammes et la fumée d'un rite incantatoire effectué dans un temple dédié aux divinités égyptiennes, à l'intérieur de la maison de César. L'arrêt sur image (photogramme 1) est fait quelques secondes après que Brutus (Kenneth Haigh à droite), le protégé du maître de Rome, lui a porté l'estocade. Victime d'un complot organisé par un groupe de sénateurs désireux de sauver la République, le corps ensanglanté par une vingtaine de coups de poignards maculant progressivement sa toge blanche bordée de pourpre, Jules César s'effondre sur le marbre de la Curie de Pompée où siège le Sénat à Rome, au pied d'une colonne sur laquelle est inscrit Pompeio Magno Imper Iter, ou Pompée le Grand Imperator (photogramme 2). Ironiquement, César meurt de la même façon que son vieil adversaire assassiné sur l'ordre de Ptolémée XIII, le propre frère de Cléopâtre en - 48[3]. La vision hallucinatoire qu'a Cléopâtre, la maîtresse de César, de cette tragédie, s'apparente selon Mankiewicz – suivant en cela les écrits de Suétone[4] - aux signes prémonitoires du drame à venir dont César n'a pas tenu compte: au cours d'un sacrifice l'haruspice[5] Spurinna lui dit de se méfier des ides, et le matin même de l'assassinat, la femme de César Calpurnia, après avoir vu le meurtre de son mari en rêve, lui demande de ne pas se rendre au Sénat. En vain. Les traits déformés par la douleur, le corps pris de convulsions, elle pleure son amant défunt (voir photogramme 1). Cette femme de pouvoir à la féminité souveraine qui a réussi à envoûter l'homme le plus puissant de Rome, perd à cet instant sa maîtrise habituelle, se sachant impuissante à changer le cours de l'Histoire. Habituellement utilisé pour faire revivre le passé dans le présent, le procédé de surimpression juxtapose ici la même temporalité dans deux lieux différents avec deux personnages distincts. Ces espaces dramatiques respectifs, la Curie et le temple, se rejoignent toutefois dans la complémentarité de leurs destins funestes: César meurt sans avoir pu aller au terme de son ambition et Cléopâtre, désormais isolée, n'a d'autre choix que de rentrer en Égypte. Sa rencontre avec Marc-Antoine (Richard Burton), puis son opposition à Octave (Roddy McDowall) seront marquées du sceau de la fatalité.



[1] Vies parallèles des hommes illustres dont celle de César (entre 100 et 120 après J-C)

[2] Le dramaturge anglais de Stratford-upon-Avon écrivit la tragédie Julius Caesar en 1599.

[3] César et Pompée s'affrontent pendant la guerre civile romaine de – 49, chacun rivalisant avec l'autre pour affirmer leurs prétentions au pouvoir. Défait à la bataille de Pharsale, Pompée se réfugie en Égypte ou il est assassiné en – 48.

[4] Historien romain (vers 70 – vers 122 après Jésus-Christ), auteur de La Vie des douze Césars (début du IIe siècle).

[5] Art divinatoire permettant de lire la volonté divine dans les entrailles d'un animal sacrifié.




 

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