jeudi 12 août 2021

Le bison chez Richard Brooks et Kevin Costner




Dans la représentation de l'extermination des bisons, les liens de parenté entre La Dernière chasse (The Last Hunt, Richard Brooks, 1956) et Danse avec les loups (Dances with Wolves, Kevin Costner, 1990) sont nombreux et patents. Le premier lien concerne la rareté du sujet - cette courte liste peut être toutefois complétée par un troisième film, Le Bison blanc (White Buffalo, Jack Lee Thompson, 1977) – essentiellement en raison de la mauvaise conscience des Américains face à cette tuerie de masse inséparable de l'effondrement du mode de vie des tribus indiennes des Grandes Plaines. À propos de l'échec critique et commercial de La Dernière chasse, Richard Brooks disait: « Ce que le film dénonçait, c'était le meurtre systématique d'animaux. Ce meurtre n'avait aucun sens. Il était ridicule, pour la somme d'un ou deux dollars que valait sa peau, de tuer un animal et de laisser pourrir sa chair (…). Vous pouvez imaginer l'embarras et la gêne qui s'emparèrent des Américains quand ils virent le film [1]». Le deuxième lien concerne le propos écologiste de deux réalisateurs qui, à trente-quatre ans de distance, dénoncent avec la même puissance visuelle l'agonie de cet animal, amené quasiment au bord de l'extinction à la fin du XIXe siècle. Chez Brooks et Costner, le bison n'est qu'une vulgaire marchandise, uniquement chassée et dépecée pour sa peau, au contraire des Indiens des Plaines qui en avaient fait un animal totémique, grand dispensateur de toutes les ressources dont ils avaient besoin[2]. Le troisième lien enfin, évoque de manière indirecte pour le premier et plus frontale pour le deuxième, la déstabilisation et la déculturation des tribus dont le destin tragique est étroitement associé au déclin des bisons. Confrontés à une même réalité, les Indiens et les bisons sont les victimes sacrifiées sur l'autel de la colonisation de l'Ouest américain. Ce dernier point de vue est humaniste chez les deux metteurs en scène, mais la perspective n'est pas la même. Chez Brooks, le massacre est vu à travers les yeux de Charley Gilson (Robert Taylor, photogramme 1), un chasseur raciste possédant tous les attributs du psychopathe: une insensibilité froide à la douleur d'autrui, une indifférence à une quelconque culpabilité et une recherche constante du rapport de force aspirant à dominer tout son environnement. Prenant un plaisir malsain à tuer les bisons aussi bien que les hommes, Charley accomplit à cet instant son œuvre macabre: il abat des dizaines de ces mammifères avec une frénésie qui confine à l'extase et à la folie. Le système de visée de sa winchester et le pied en métal la supportant traduisent tout autant l'habileté du tireur que sa volonté d'abattre jusqu'au dernier, aussi longtemps qu'il le faudra, sans discontinuer, les membres de la harde visible en contrebas. Au contraire, dans Danse avec les loups, Costner adopte, comme dans un miroir inversé, le point de vue des Sioux, découvrant avec consternation les carcasses des bisons écorchés par des chasseurs, jonchant la plaine (photogramme 2). Les tueurs ne seront jamais montrés - seules les traces de leurs chariots resteront visibles au milieu de ce carnage – comme pour mieux individualiser ceux qui subissent de plein fouet cette dévastation. Filmé de dos et occupant tout le premier plan du champ, le petit groupe de Sioux est immobilisé, figé dans cette incompréhension et dans cette douleur sourde qui pèsent sur leurs épaules. Ils savent désormais que le temps de l'innocence est révolu. Le lieutenant Dunbar (Kevin Costner) est rejeté à la périphérie droite du cadre. Impuissant, il ne peut que constater le désarroi de ceux qui l'ont accepté et adopté il y a peu de temps.



[1] Dans Interview, par Michael Caen, Serge Daney, Jean-Louis Noames et Stacy Waddy, Cahiers du cinéma, n 166/167, mai-juin 1965

[2] Peau, viande, tendons, graisse, moelle, os, cornes ….







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