Dans ce plan des Tueurs (The Killers, Robert
Siodmak, 1946), la mise au point est faite sur Kitty Collins (Ava Gardner),
alors que Ole Andreson, dit le Suédois (Burt Lancaster), reste légèrement flou.
Sorti récemment de prison, il n'a plus de nouvelles de Kitty qu'il a rencontrée
quatre ans auparavant et dont il était tombé immédiatement amoureux. Depuis
qu'il est entré dans cette pièce dans laquelle quatre comparses préparent le
hold-up d'une usine, Ole s'est assis parce que ses genoux chancelaient. La
sensualité que dégage Kitty, langoureusement étendue sur le lit, le regard de
braise qu'elle lui lance donnant l'impression que la pellicule va s'embraser
contrastent avec l'insécurité et le regard perdu et fuyant de l'homme qui a
besoin d'être soutenu par la barre horizontale métallique du pied de lit pour
soigner une illusion de contenance. Il n'ose affronter le regard de celle qu'il
aime toujours éperdument, au-delà de toute raison, dans une volonté d'absolu, avec
une passion qui le consume de l'intérieur, une adulation inextinguible qui
confine au mysticisme et que Kitty lui rend si mal, parce que préoccupée par
d'autres réalités nettement plus matérialistes. Loin de la robe de satin noir
qu'elle portait lors de leur première rencontre, elle porte ce soir-là, une jupe
et un pull-over qui ne parviennent pas à la faire passer pour une femme
ordinaire. Sa jambe découverte jusqu'au genou accentue la tension érotique qui
se dégage du plan. La caméra – comme le spectateur - est subjuguée, hypnotisée
par ces yeux, ce visage et ce corps, qui expriment le sous-entendu et ce
demi-sourire esquissé qui rend possible le passage de l'autre côté du rêve. Ole
voudrait la serrer dans ses bras, lui dire que rien n'a changé depuis la
première fois, qu'il est resté le même, qu'il a conservé le foulard vert décoré
de harpes d'or qu'elle lui avait donné, qu'il est prêt à tout, même au pire,
pour retrouver son ancienne maîtresse. Envoûté, depuis la nuit des temps
croit-il, par cette femme qui se révélera fatale, Ole ne voit pas qu'il est
pris dans une toile d'araignée tissée par celle qui connaît sa vulnérabilité et
sa naïveté. Pourquoi n'a-t-il pas écouté l'un des quatre complices, son ami
Charleston (Vince Barnett), qui lui dit en quittant la pièce ? « Tu veux un conseil ? Laisse tomber les
harpes d'or. Elles peuvent te causer des tas d'ennuis ». « Où veux-tu en
venir ? » lui répond Ole, avec un étonnement non feint. Tout est dit dans
ce plan : Kitty, bien consciente du pouvoir qu'elle a sur les hommes et le
monde, est au cœur d'une dynamique émotionnelle et sensuelle à l'intérieur d'un
couple dissymétrique et improbable dont l'un est la marionnette de l'autre, et
qui ne peut connaître qu'une destinée tragique.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire