samedi 16 mars 2019

Le rock chez les frères Maysles



Tout a été dit sur le sinistre festival d’Altamont (Californie, le 6 décembre 1969) et le krach du rêve hippie des années 60. Ce grand rassemblement musical et festif devait être le pendant d’un autre festival, celui de Woodstock qui s’était déroulé du 15 au 18 août de la même année. Ce sont les Rolling Stones en pleine ascension, et leur manager Sam Cutler qui sont aux commandes. Après avoir invité des groupes déjà présents à Woodstock (Jefferson Airplane, Carlos Santana ou Crosby, Stills, Nash and Young), les Stones se réservent la meilleure part du gâteau en choisissant de passer en début de soirée le 6 décembre. Pourtant, ils vont commettre une double erreur fatale : d’une part celle de faire appel (suite à la proposition du Grateful Dead) aux Hell’s Angels d’Oakland pour assurer le service d’ordre et d’autre part, celle de les payer en packs de bières. Le cocktail réunissant 300 000 jeunes dont de nombreux accros au LSD et aux amphétamines, des Hell’s très rapidement aussi avinés que violents, associés aux titres anxiogènes (Sympathy for the Devil ou Street Fighting Man) joués par le groupe mené par Mick Jagger et Keith Richards, ce cocktail donc, va se révéler désastreux et aboutir au meurtre de Meredith Hunter par un membre du service d’ordre. Le premier avait pointé une arme sur Mick Jagger avant d’être poignardé par le second. Cette violence a été extraordinairement captée par les caméras des frères Maysles, positionnées le plus souvent derrière le groupe sur scène. Le photogramme montre, probablement sans l’avoir prémédité, la puissance et la lucidité du point de vue adopté par les cinéastes : à gauche, au premier plan, la silhouette floue de Mick Jagger face au public, et à droite, au deuxième plan, un Hell’s Angel, net. La tension entre ces deux pôles vient du fait que le Hell’s regarde avec un mépris incommensurable le chanteur des Stones qui ignore tout de cette perception.  Et ici, d’une manière évidente, s’entrechoquent quasiment frontalement deux visions du monde : celle d’un des hérauts de l’idéologie libertaire des années 60 caractérisée par l’amour libre, la paix, la rupture avec les générations précédentes et l’hostilité à la guerre au Vietnam, opposée à celle de ce club de motards affilié au crime organisé. Tout dans leur attitude les sépare : pour Mick, les cheveux longs, un vêtement en satin noir et rouge dont les manches sont prolongées par deux très longues écharpes et, pour le motard, des cheveux coupés très courts, un blouson noir, point de repère indispensable pour les Hell’s Angels et dont on devine dans le dos, leur sigle semi-circulaire.  En un seul plan, les frères Maysles captent la fracture idéologique qui fera l’échec de ce festival et en même temps celui de la contre-culture des années 60. Cette fracture témoigne d’une inconscience totale face « aux conflits non résolus qui s’affrontaient silencieusement dans l’underground : le poids de l’argent, le manque de leader, d’unité et de but, le rôle des drogues, le rejet de l’autorité et de la police » [1] mais également face à la violence environnante qui avait pourtant déjà frappé, particulièrement au sein des États-Unis, dès le début de la décennie. Les assassinats de John F. Kennedy (1963), Malcolm X (1965), Martin Luther King, Robert Kennedy (1968) et celui, spécialement sordide, de l’épouse de Roman Polanski, Sharon Tate le 9 août 1969 – à la veille de Woodstock ! – par la bande de Charles Manson, serviront de cercueil à l’idéal communautaire du peace and love. Le festival d’Altamont n’est finalement que la conclusion d’un mouvement qui avait cru pouvoir changer le monde.

(1) Altamont 69, les Rolling Stones, les Hell’s Angels et la fin d’un rêve de Joel Selvin, éditions Payot et Rivages, Paris, 2017, p.276.







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