Tout a été dit sur le sinistre festival
d’Altamont (Californie, le 6 décembre 1969) et le krach du rêve hippie des
années 60. Ce grand rassemblement musical et festif devait être le pendant d’un
autre festival, celui de Woodstock qui s’était déroulé du 15 au 18 août de la
même année. Ce sont les Rolling Stones en pleine ascension, et leur manager Sam
Cutler qui sont aux commandes. Après avoir invité des groupes déjà présents à
Woodstock (Jefferson Airplane, Carlos Santana ou Crosby, Stills, Nash and Young),
les Stones se réservent la meilleure part du gâteau en choisissant de passer en
début de soirée le 6 décembre. Pourtant, ils vont commettre une double erreur
fatale : d’une part celle de faire appel (suite à la proposition du
Grateful Dead) aux Hell’s Angels d’Oakland pour assurer le service d’ordre et
d’autre part, celle de les payer en packs de bières. Le cocktail réunissant
300 000 jeunes dont de nombreux accros au LSD et aux amphétamines, des
Hell’s très rapidement aussi avinés que violents, associés aux titres
anxiogènes (Sympathy for the Devil ou Street Fighting Man) joués par le groupe
mené par Mick Jagger et Keith Richards, ce cocktail donc, va se révéler
désastreux et aboutir au meurtre de Meredith Hunter par un membre du service
d’ordre. Le premier avait pointé une arme sur Mick Jagger avant d’être
poignardé par le second. Cette violence a été extraordinairement captée par les
caméras des frères Maysles, positionnées le plus souvent derrière le groupe sur
scène. Le photogramme montre, probablement sans l’avoir prémédité, la puissance
et la lucidité du point de vue adopté par les cinéastes : à gauche, au premier
plan, la silhouette floue de Mick Jagger face au public, et à droite, au
deuxième plan, un Hell’s Angel, net. La tension entre ces deux pôles vient du
fait que le Hell’s regarde avec un mépris incommensurable le chanteur des
Stones qui ignore tout de cette perception.
Et ici, d’une manière évidente, s’entrechoquent quasiment frontalement
deux visions du monde : celle d’un des hérauts de l’idéologie libertaire
des années 60 caractérisée par l’amour libre, la paix, la rupture avec les
générations précédentes et l’hostilité à la guerre au Vietnam, opposée à celle
de ce club de motards affilié au crime organisé. Tout dans leur attitude les
sépare : pour Mick, les cheveux longs, un vêtement en satin noir et rouge
dont les manches sont prolongées par deux très longues écharpes et, pour
le motard, des cheveux coupés très courts, un blouson noir, point de repère
indispensable pour les Hell’s Angels et dont on devine dans le dos, leur sigle
semi-circulaire. En un seul plan, les
frères Maysles captent la fracture idéologique qui fera l’échec de ce festival
et en même temps celui de la contre-culture des années 60. Cette fracture témoigne d’une
inconscience totale face « aux conflits non résolus qui s’affrontaient
silencieusement dans l’underground : le poids de l’argent, le manque de
leader, d’unité et de but, le rôle des drogues, le rejet de l’autorité et de la
police » [1] mais
également face à la violence environnante qui avait pourtant déjà frappé,
particulièrement au sein des États-Unis, dès le début de la décennie. Les
assassinats de John F. Kennedy (1963), Malcolm X (1965), Martin Luther King,
Robert Kennedy (1968) et celui, spécialement sordide, de l’épouse de Roman
Polanski, Sharon Tate le 9 août 1969 – à la veille de Woodstock ! – par la
bande de Charles Manson, serviront de cercueil à l’idéal communautaire du peace
and love. Le festival d’Altamont n’est finalement que la conclusion d’un
mouvement qui avait cru pouvoir changer le monde.
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