Dans
la famille Trask, tout est une affaire de déséquilibre. Le père, Adam (Raymond
Massey, à droite, photogramme 1) n'aime pas son fils, Cal, (James Dean,
photogrammes 2 et 3), et lui préfère son frère jumeau, Aron (Richard Davalos, à
gauche, photogramme 1), plus lisse et plus docile. En quête d'identité, écorché
vif, et cherchant par tous les moyens l'amour de son père tout en sachant manier la provocation pour lui tenir
tête, Cal se retrouve à la table familiale pour entendre un extrait de la bible
lu par son père. Celui-ci profite de tous les présumés écarts de conduite de
son fils pour lui faire la morale et lui rappeler que la parole divine est
l'alpha et l'omega de la famille. La séquence, extraite de À l'Est d'Eden (East of Eden,
Elia Kazan, 1955), essentiellement construite en champ-contrechamp, permet au réalisateur
de filmer individuellement le père ou le fils (photogrammes 1, 2 et 3) en plans rapprochés débullés, alors que le
plan de demi-ensemble (photogramme 4), filmé en angle plat, les présente réunis
dans le champ de manière définitive, les deux corps affaissés sur leurs chaises
et leurs regards divergents, pour mieux signifier leur incompréhesion mutuelle
de part et d'autre de cette interminable table. Le plan débullé (en référence
au niveau à bulle que l'on trouve sur un trépied et qui permet de filmer à
l'horizontale, en angle plat donc) produit un renversement des lignes verticales
et horizontales pour traduire le malaise, l'inquiétude et la tension qui
habitent les personnages dans le cadre. Ainsi, au sermon du père s'interrogeant
sur les actions de son fils, répondent les provovations de Cal, physique
d'abord par son attitude – faussement – décontractée, le bras droit soutenant
la tête et le bras gauche par-dessus le dossier de la chaise, puis verbale
parce qu'obligé de lire – ce qu'il fait de mauvaise grâce, à toute vitesse et
mécaniquement - les versets de la bible
qui lui a été donnée par le frère modèle, Aron. La tension redouble subitement lorsque
Cal pose des questions sur sa mère,
officiellement morte et enterrée, mais dont il a retrouvé la trace non loin du domicile
familial. « Talk to me, father »
s'exclame Cal dans une supplique qui déchire l'écran. En utilisant cet angle
aussi insolite que déstabilisateur, et bien qu'il n'en soit pas l'inventeur –
les cinéastes expressionnistes allemands l'ont abondamment utilisé, de même qu'Alfred
Hitchcock dans Les Enchaînés
(Notorious, 1946) ou encore Carol
Reed dans Le Troisième Homme (The Third Man, 1949) - Elia Kazan brise
néanmoins, en plein classicisme hollywoodien, les conventions habituelles de
tournage en associant simultanément un lourd secret de famille et un rapport conflictuel
au père ou à la mère au positionnement de la caméra. Ce dernier point, associé
au format cinémascope rejetant aux extrêmités les deux protagonistes, participent
de l'impossible communication au sein d'une cellule familiale destructurée, non
par l'argent comme la famille Stamper (La
Fièvre dans le sang/Splendor in the
Grass, du même Kazan, 1961), mais par l'aveuglement d'un père dont la
rigidité morale et le puritanisme exacerbé sont l'inverse du jardin d'Eden qu'il
désirait pour ses enfants.
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