Dans Tant qu’il y aura des hommes (From Here to Eternity, 1953), la caméra
de Fred Zinnemann cadre trois hommes, trois militaires américains stationnés
sur la base de Pearl Harbour en 1941, quelques semaines avant l’attaque japonaise
qui déclenchera, le 7 décembre de la même année, l’entrée en guerre des
États-Unis contre le Japon et l’Allemagne. Au premier plan, de dos, le
capitaine Holmes (Philip Ober) accueille, au second plan, un nouveau venu, le 2e
classe Robert Lee Prewitt (Montgomery Clift). À l’arrière-plan, l’adjudant-chef
Milton Warden (Burt Lancaster) ne perd rien de la conversation. Sanglés dans
leurs uniformes et dans le protocole qui caractérise la hiérarchie militaire,
ils évoquent l’équipe de boxe que dirige le capitaine, et que Prewitt, un
ancien boxeur, refuse de rejoindre en raison d’une grave blessure qu’il a infligée
à un précédent adversaire. Debout, droit, le corps tendu et les mains derrière
le dos, le 2e classe, pris en tenaille, subit la demande pressante
de son capitaine. Ses sourcils froncés et ses yeux traduisent cette mise en
tension pour exprimer une certaine douleur. Méfiant, inquiet et tiraillé entre son
devoir d’obéissance face à un supérieur et ses convictions profondes, Prewitt
tient bon. Pierre Berthomieu affirme que Fred Zinnemann utilise le décor
pour exprimer le poids de la hiérarchie
sur les psychologies et les tensions qu’elle recèle (1). En effet, le
cadre photo d’un boxeur qui est accroché
au mur à gauche de l’écran traduit bien cette obsession du capitaine Holmes qui
voit dans les victoires de son équipe de boxe un moyen de promotion. Qu’un
simple deuxième classe puisse refuser d’être le vecteur de son ascension dans
la hiérarchie militaire lui semble tout bonnement improbable. Ce premier enjeu va
parcourir tout le film. Mais la composition du plan est organisée de telle
façon que notre œil est aussi orienté inévitablement vers le cadre-photo qui occupe
le côté droit du bureau du capitaine. La photographie représente manifestement
l’épouse du capitaine Holmes, Karen (Deborah Kerr). Bien orienté vers le regard
du spectateur, le visage de Madame Holmes ne représente pour l’instant que
celui d’une épouse sans histoire. Pourtant, cette femme va personnifier le
deuxième enjeu, dramatique et sentimental, du scénario rédigé par Daniel Taradash d’après le roman de James
Jones. Épouse délaissée et trompée par son mari, Karen n’existe que sur papier
glacé en se morfondant dans cette vie de garnison qu’elle déteste. Préservant difficilement
l’apparence d’une femme mariée, elle va devenir la maîtresse de Milton Warden. Ainsi, en un seul
plan et dès l’entame du film, Fred Zinnemann place les quatre principaux
protagonistes de son histoire. Il ne manque que le 2e classe Angelo
Maggio (Franck Sinatra) et la future maîtresse de Prewitt, Anna Burke (Donna
Reed) pour que le tableau soit complet.
(1) Pierre
Berthomieu, Hollywood classique, le temps
des géants, Rouge profond, 2009
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