vendredi 7 septembre 2018

Le cadre photo chez Fred Zinnemann



Dans Tant qu’il y aura des hommes (From Here to Eternity, 1953), la caméra de Fred Zinnemann cadre trois hommes, trois militaires américains stationnés sur la base de Pearl Harbour en 1941, quelques semaines avant l’attaque japonaise qui déclenchera, le 7 décembre de la même année, l’entrée en guerre des États-Unis contre le Japon et l’Allemagne. Au premier plan, de dos, le capitaine Holmes (Philip Ober) accueille, au second plan, un nouveau venu, le 2e classe Robert Lee Prewitt (Montgomery Clift). À l’arrière-plan, l’adjudant-chef Milton Warden (Burt Lancaster) ne perd rien de la conversation. Sanglés dans leurs uniformes et dans le protocole qui caractérise la hiérarchie militaire, ils évoquent l’équipe de boxe que dirige le capitaine, et que Prewitt, un ancien boxeur, refuse de rejoindre en raison d’une grave blessure qu’il a infligée à un précédent adversaire. Debout, droit, le corps tendu et les mains derrière le dos, le 2e classe, pris en tenaille, subit la demande pressante de son capitaine. Ses sourcils froncés et ses yeux traduisent cette mise en tension pour exprimer une certaine douleur. Méfiant, inquiet et tiraillé entre son devoir d’obéissance face à un supérieur et ses convictions profondes, Prewitt tient bon. Pierre Berthomieu affirme que Fred Zinnemann utilise le décor pour  exprimer le poids de la hiérarchie sur les psychologies et les tensions qu’elle recèle (1). En effet, le cadre  photo d’un boxeur qui est accroché au mur à gauche de l’écran traduit bien cette obsession du capitaine Holmes qui voit dans les victoires de son équipe de boxe un moyen de promotion. Qu’un simple deuxième classe puisse refuser d’être le vecteur de son ascension dans la hiérarchie militaire lui semble tout bonnement improbable. Ce premier enjeu va parcourir tout le film. Mais la composition du plan est organisée de telle façon que notre œil est aussi orienté inévitablement vers le cadre-photo qui occupe le côté droit du bureau du capitaine. La photographie représente manifestement l’épouse du capitaine Holmes, Karen (Deborah Kerr). Bien orienté vers le regard du spectateur, le visage de Madame Holmes ne représente pour l’instant que celui d’une épouse sans histoire. Pourtant, cette femme va personnifier le deuxième enjeu, dramatique et sentimental, du scénario rédigé par Daniel Taradash d’après le roman de James Jones. Épouse délaissée et trompée par son mari, Karen n’existe que sur papier glacé en se morfondant dans cette vie de garnison qu’elle déteste. Préservant difficilement l’apparence d’une femme mariée, elle va devenir la maîtresse de Milton Warden. Ainsi, en un seul plan et dès l’entame du film, Fred Zinnemann place les quatre principaux protagonistes de son histoire. Il ne manque que le 2e classe Angelo Maggio (Franck Sinatra) et la future maîtresse de Prewitt, Anna Burke (Donna Reed) pour que le tableau soit complet.

(1)  Pierre Berthomieu, Hollywood classique, le temps des géants, Rouge profond, 2009



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